Chapitre 118

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— Il en aurait été heureux, soupira Laley, empreinte de nostalgie.  

— Heureux est un bien grand mot. Il en aurait été satisfait, corrigea Emilia avec davantage de pondération. 

Cette précision anima la Reine-Harpie d'un rire léger, insouciant. Il était délectable de se sentir suffisamment à l'aise pour pouvoir partager de tels moments, après toutes les péripéties qu'ils avaient eu à traverser. Après la mort de certains des leurs, aussi. Face à elles deux avait été érigé un autel, à deux rues de l'Orphelinat aux briques sombres où Salomon avait vécu l'essentiel de son enfance, lui aussi. Si le nom du taciturne rival de Nakata était effectivement inscrit sur ce mémorial, celui de sa commandante trônait à ses côtés, ainsi que celui de l'ensemble de leurs camarades morts au combat durant cette guerre fratricide. Ils avaient été inhumés ensemble, au beau milieu de Corgenna, la ville qu'ils avaient ardemment souhaité défendre contre ce qu'ils avaient pris, à tort, pour un soulèvement abject. Pour une trahison vile et impardonnable.

Sidoni n'aurait jamais pu entendre raison. Laley en avait bien conscience, quand bien même elle n'avait pas réellement eu l'opportunité de la côtoyer. Sa loyauté pleine et entière était dirigée vers l'Oracle, c'était de notoriété commune. Si elle déplorait que Salomon ait pu choisir de la suivre aveuglément, sans doute bien aidé à cette fin par sa relation conflictuelle avec le capricieux Nakata, elle comprenait qu'il ait été tenté de mettre sa vie dans la balance pour tenter de la défendre, puis de la suivre jusqu'en Enfer. Elle avait l'intime conviction qu'elle aurait été prompte à embrasser le même absolutisme si leurs rôles avaient dû être inversés, et si c'était à la vie de Nakata qu'on avait intenté à la place. Ils avaient été victime d'une escalade de violences que rien ni personne n'aurait pu empêcher, dans un tel contexte.

Maintenant, il avait droit au repos.

Elle-même avait déjà été plus pimpante, par le passé. De nombreux bandages ceignaient encore ses multiples plaies, infligées au cours des escarmouches qui l'avaient vu revêtir ses atours les plus sauvages. Elle n'avait plus mal, plus autant qu'au lendemain de ce conflit des plus éprouvants, mais elle était encore loin de pouvoir s'en retourner batailler insouciamment. Elle en avait bien conscience ; raison pour laquelle elle avait accepté, pour l'heure, de ne pas être réintégrée à la nouvelle armée du Royaume de Balhaan. En attendant qu'elle puisse brandir ses armes une fois de plus, elle se contentait pour l'heure d'aider à l'éducation des jeunes pousses de l'Orphelinat ; cela lui faisait le plus grand bien... et la préparait, bien sûr, à son futur rôle de mère.

— Lida n'est toujours pas au courant, remarqua placidement Emilia à ce sujet.

— Non, répondit Laley, peinée. Je ne crois pas que ce soit le bon moment. Pas encore.

— Un jour ou l'autre, elle l'apprendra. Je pense qu'il serait préférable que cela soit de ta bouche, ou de celle de Nakata, à défaut. Elle ne vous en voudra pas.

— Sans doute pas. Mais j'ai du mal à croire qu'elle puisse s'en réjouir.

Emilia haussa les épaules, sans trop savoir quoi répondre. Effectivement, il était peu probable que Lida se mette à bondir de joie en apprenant que deux de ses amis, Cydystaris de surcroît, allaient avoir un enfant ensemble sans avoir jugé bon de la mettre au parfum de leur relation. En outre, quand on prenait en considération le caractère tumultueux de sa relation avec Nakata ; en outre, quand on partait du principe que la première motivation à l'insubordination de Nakata vis-à-vis de l'Oracle était un vœu aussi égoïste que celui-ci.

Mais au lendemain de la guerre qui avait bien failli leur coûter la vie à tous, Nakata avait tenu à répandre l'information de la grossesse de Laley auprès du reste des Orphelins. Tous, bien sûr, leur avaient présenté leurs plus généreuses bénédictions. La Reine-Harpie, de son côté, se sentait déjà plus reposée de pouvoir compter sur le support de certains de ses camarades de naguère ; à l'instar d'Emilia, ils étaient nombreux à venir prendre des nouvelles de l'évolution de son état de santé, de temps à autres.

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant