Chapitre 90

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Le rugissement de ce fichu Cydylaïn ébranla jusqu'aux fondations de cette prison immémoriale. Dixan sentit, comme à chaque fois que cette bête s'était faite entendre de la sorte depuis le début de leurs échanges de politesses, que son corps tendait à se crisper. Des sueurs froides commencèrent à l'étreindre, se répandre le long de sa peau comme une lame de fond aussi pernicieuse qu'incapacitante. Le partenaire du Général Delistel pouvait manifestement engendrer chez ses proies un sentiment de terreur proprement irrationnel, susceptible de les handicaper durablement ; et déjà le militaire amplement décoré revenait à la charge, épée tirée au clair, prêt à pourfendre ce beau diable de Commandant d'un coup de taille glorieux et intrépide. Ses hommes pouvaient en prendre de la graine, eux qui avaient été si prompts à se laisser happer par les vagues invoquées par le jeune Orphelin... Aucun d'entre eux n'avait semblé prêt à se mettre sérieusement en péril ; tant et si bien qu'ils n'étaient plus qu'une poignée à résister à ses assauts, et aucun avec autant de pugnacité que le père de Jade. La bataille était déjà gagnée, en somme, pour le petit prince des Brigades... et il en apporta la preuve sans même prendre la peine de faire frémir le moindre de ses muscles.

Parce que la capacité dont il avait été affublé était d'une efficacité déroutante et insolente, il se contenta de darder le lion bruyant d'un regard assassin ; une vague disproportionnée se jeta alors sur le prédateur né, l'empêchant de poursuivre son tapage et l'envoyant à quelques pas de là, les quatre fers en l'air. A nouveau libre de ses mouvements, Dixan se fendit d'une esquive fluide et habile pour échapper au fil de la lame de Charles Delistel ; le militaire émérite fulmina, enragea, renchérit d'un coup d'estoc, se heurta à une nouvelle dérobade, constata que la paume de la main gauche du prestigieux combattant venait caresser son armure de plates au niveau de son abdomen, sentit un jet d'eau d'une prodigieuse puissance l'expédier vers l'arrière sans crier gare. Il se fracassa contre les dalles détrempées du rez-de-chaussée de la prison, roula sur quelques mètres, se stabilisa à grand-peine et se redressa en même temps que son Cydylaïn, prêt à rempiler. Dans le même temps, deux de ses meilleurs subalternes fondirent sur l'Orphelin pour le tenir occupé. Ils ne purent pas être moins inspirés ; comme tout un chacun aurait pu le parier, il furent chassés par les flots de Dixan, lesquels les happèrent et les projetèrent contre un mur le long duquel ils s'effondrèrent, inconscients l'un comme l'autre. 

— Arrête ! Cesse de t'en prendre à eux, lâche ! tempêta le Général en brandissant à nouveau sa lame.

— Il faudrait peut-être même que je les laisse m'abattre, non ? railla Dixan en levant les yeux au ciel en signe d'exaspération. Je ne vous prenais pas pour un enfant de chœur... 

Piqué dans son orgueil, le combattant maintes fois décorés surgit une fois de plus, tâchant de décapiter le Commandant d'un geste plus puissant que subtil ; Dixan n'eut aucun mal à se soustraire à cette charge grossière, toujours avec la grâce qui le caractérisait si bien. Quelques trombes d'eau lui permirent de retomber sur le sol à quelques pas de là sans perdre son équilibre à aucun moment ; il en expédia une droit vers le lion qui, un petit peu plus loin, s'apprêtait à l'entraver par le biais de l'un des rugissements dont il avait le secret. La bête, trempée et humiliée, dut momentanément battre en retraite. Le commandant en profita pour s'en prendre à son Cydymisen, en le repoussant d'un nouveau jet d'eau, pareil à un geyser horizontal. Fauché de plein fouet, le cinquantenaire dût lâcher son arme et manqua de s'étouffer ; il roula au sol et, une fois à quatre pattes, entreprit de reprendre son souffle.

La leçon qu'était en train de lui inculquer Dixan était humiliante, à plus d'un égard. Pas seulement parce que le rapport de force, écrasant, leur prouvait à lui et à ses hommes qu'ils avaient eu tort d'envisager un seul instant durant qu'ils pourraient empêcher le sauvetage de Lida, de Rolan et de Jade... mais aussi et surtout parce que dans le même temps, leur adversaire se payait le luxe de les ménager. De ne pas les brusquer. S'il avait, après tout, pris la décision de les exécuter sommairement, il n'aurait pas eu à s'attarder dans les parages bien longtemps : il aurait pu reprendre sa route après quelques secondes seulement, aurait pu rejoindre trois brigands partis en éclaireurs ainsi que les trois captifs. Mais il n'en était rien...

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant