Épilogue

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— Et... Voilà.

Il soupira bruyamment, s'essuya le front d'un revers du poignet, apprécia son ouvrage en redressant ses petites lunettes rondes au bout de son nez. Satin avait commencé à travailler sur cette partie-ci de la muraille de la forteresse du Pic Zygos quelques heures plus tôt ; les éboulements s'y étaient faits nombreux en leur absence, et s'il avait veillé, dans un premier temps, à assurer la sécurité des lieux en faisant courir sur la falaise qui surplombait l'édifice des nuées de ronces qui formaient un entrelacs verdoyant, dépaysant à de telles altitudes, il s'était ensuite échiné à faire courir des racines jusque sur le chantier pour ne pas avoir à tout déblayer par ses propres moyens, bien trop humains. Face à de tels défis, il aurait aimé être doté de la puissance brute d'un Aiz, laquelle aurait pu lui permettre de déplacer ces rochers sans être incommodé par leurs dimensions respectables ; en l'occurrence, il se contentait de les traîner à l'écart, sans jamais entrer physiquement en contact avec eux.

Les travaux de réfection de la forteresse allaient l'occuper pendant... sans doute tout le restant de sa vie. Il le mesurait d'autant plus amèrement que les hangars et les autres annexes qui abondaient dans la cour délimitée par l'enceinte extérieure demeuraient quant à eux dans un état déplorable ; il voulait d'abord s'affairer à reconstruire la muraille à l'identique, certes, mais il savait qu'il lui faudrait tôt ou tard s'intéresser d'un peu plus près à ces chantiers gargantuesques. En attendant, il était bien content de pouvoir, de temps à autres, compter sur la générosité des artisans de Lupinova, lesquels réalisaient parfois le trajet pour venir le trouver dans sa vieille forteresse, non sans lui porter des vivres qui lui étaient toujours offerts. Tant et si bien qu'il n'avait plus eu à chasser depuis qu'il s'était arrêté ici ; et depuis que Silvia, Amara et Malir s'en étaient allés traverser la frontière, à la recherche d'un périple susceptible de les occuper au cours des mois à venir.

Et si sa solitude ne lui déplaisait pas forcément, puisque les quelques heures de calme qu'il s'octroyait entre ses différents travaux pouvaient ainsi être consacrées à l'étude des nombreux ouvrages poussiéreux que la forteresse abritait, force était d'admettre que ces lieux perdaient une part significative de leur charme, ainsi dépouillés des facéties de Malir, des maladresses d'Akis, de la bonhomie d'Andrek, de la noblesse de Silvia, de la colère d'Amara, de la gentillesse inconditionnelle de Lani, ou encore de la rigidité toute militaire de Sylas.

A la pensée de ce guerrier décédé loin, si loin de chez lui, de chez eux, Satin décocha un regard navré en direction de l'autel qu'il avait fait bâtir par les tailleurs de pierre de Lupinova, à la surface duquel courraient leurs noms, à toutes et à tous.

Nilly. Lani. Sylas. Keylan. Merogor. La guerre avait prélevé son tribut, y compris chez eux, pourtant victorieux ; et à cette idée, le jeune érudit ne pouvait jamais empêcher son cœur de se pincer affreusement.

Avec douceur, il s'approcha de la stèle, s'accroupit devant elle, observa le flétrissement inévitable des chrysanthèmes qui habillaient la pierre d'un soupçon de couleur et de chaleur. Il laissa courir l'un de ses doigts à la surface des pétales, et la vigueur de ceux-ci se mit à rejaillir, rendant à ce bouquet moribond sa fraîcheur d'antan.

— C'est quand même un peu déprimant, des chrysanthèmes... Je devrais demander à ce qu'ils me livrent du laurier-rose... ou des perce-neiges... 

Non sans un soupir supplémentaire, Satin se redressa, plaça ses poings sur ses hanche, opina du chef en constatant que le mémorial semblait avoir retrouvé un tant soit peu de son aplomb, s'en alla traverser la cour qui le séparait de la forteresse en elle-même. Il s'y invita, ignora le Sciotum dont la lueur paresseuse demeurait éternelle, se dirigea plutôt vers les escaliers qu'il se mit à gravir, sans un regard non plus pour les rangées de bancs et de tables qu'ils occupaient autrefois, à l'heure des repas, ou pour le couloir qui menait aux bains et aux chambres. Il passa devant les portes menant aux bibliothèques et au bureau de Lida, continua son ascension, déboucha enfin au sommet de la tour et s'approcha des balustrades branlantes, déposa sur elles des mains appliquées, précautionneuses. Il s'autorisa un instant de contemplation, commençant par détailler la cour où picoraient les poules qu'il avait sorti le matin même, filant jusqu'à la route qui serpentait en direction de Lupinova d'un côté, de la forêt de l'autre. D'Aville. Il ignora volontairement l'endroit où avaient été amoncelées les carcasses métalliques des automates du Royaume de Kale, en songeant qu'il faudrait sans doute, un jour ou l'autre, entreprendre de les émietter complètement pour les renvoyer en ville.

Mais, par-dessus tout, il s'attela à se rappeler qu'il était heureux de se tenir ici, en dépit des sacrifices et de l'affliction qui les accablait toutes et tous, qu'ils auraient à affronter pendant encore longtemps. 

Il était heureux d'avoir été un membre de la Huitième Brigade Royale de Balhaan.

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant