Chapitre 13

205 40 151
                                    


Les minutes s'égrenèrent sans vraiment qu'Akis n'en eut jamais conscience ; finalement, on toqua à sa porte, le sommant de bien vouloir s'en retourner auprès des autres membres de la Huitième Brigade afin de partager avec eux son premier repas à la forteresse du Pic Zygos. Son nouveau foyer était peut-être inhospitalier, mais il ne pouvait décemment pas prétendre que ses compagnons ne faisaient aucun effort pour le mettre à l'aise : c'était Andrek qu'on avait envoyé le quérir, et ce dernier ne manqua pas de lui souffler tout un tas d'informations pour peupler ses pensées tandis qu'ils se rendaient au hall d'entrée gargantuesque où les tables et les bancs étaient disposés.

Lorsqu'ils firent leur entrée, le garnement d'Aville fut immédiatement frappé par les fragrances entêtantes qui dansaient entre les piliers de pierre. Plusieurs grosses marmites avaient été apportées jusqu'aux deux premières tablées, celles qui se trouvaient être les plus proches du feu de cheminée dont l'intensité avait été ravivée par quelques brindilles. La plupart des membres de la Brigade avaient d'ores et déjà pris place, mais on lui avait laissé un endroit où s'installer, non loin d'Andrek et de Sora, dont on avait bien constaté qu'ils avaient commencé à se lier d'amitié avec le rouquin. On lui tendit vin et pain ; finalement, Satin et Erik s'attelèrent à servir tout le monde sous le regard toujours étonnamment autoritaire de Lida.

Lorsque leurs yeux se croisèrent par hasard, Akis tressaillit et plongea alors les siens dans le potage fumant qu'on venait de lui servir, et où flottaient plusieurs morceaux d'une viande qu'il imagina être du mouton. Les membres de la Huitième Brigade ne semblaient pas lésiner sur la nourriture, qui était présente à profusion : au moins un point sur lequel Rolan n'avait pas eu à embellir la réalité... La raison, l'apprenti la devinait sans peine : leurs multiples devoirs et le rythme particulièrement capricieux qu'ils infligeaient toutes et tous à leurs corps exigeaient des apports nutritifs divers et conséquents. Se sous-alimenter pouvait, il l'imaginait aisément, s'avérer mortel dans un environnement aussi implacable.

Il n'eut néanmoins pas l'opportunité de tremper ses lèvres dans son potage que Lida se redressa ; sa poigne droite était resserrée autour d'une lettre enroulée, qui s'avéra être la missive que Satin lui avait remise lors de leur arrivée. Ayant évidemment attiré l'attention de ses subordonnés jusqu'à elle, la commandante se chargea de leur exprimer le contenu de cette lettre sans multiplier les circonvolutions : elle savait pertinemment que la plupart d'entre eux mouraient de faim.

— Nous avons reçu une missive de l'Oracle. Il a appelé à Corgenna les dix Brigades. Nous devons y être avant la prochaine lune. Compte tenu du temps de trajet, nous n'aurons pas l'opportunité de nous attarder à la forteresse plus de deux jours. Participeront au trajet Jade et Akis. Andrek, Satin et Nilly resteront ici.

Elle s'en tint là, s'asseyant à nouveau et commençant son repas séance tenante ; et la plupart des membres de la Huitième échangèrent un regard dubitatif. Ils avaient parfois matière à regretter de ne pas avoir un commandant plus prolixe : ce type de circonstances exceptionnelles auraient bien mérité plus de détails et d'informations, mais ils savaient par avance qu'ils n'obtiendraient rien de Lida. D'un autre côté, tous devinaient sans peine qu'elle n'était probablement pas au courant des tenants et des aboutissants de cette étrange réunion, convoquée sans signe avant-coureur aucun... En d'autres termes, il n'était pas judicieux d'essayer de l'interroger : elle n'en dirait pas plus, puisqu'elle se refuserait catégoriquement à réaliser des hypothèses dans l'espoir de satisfaire sa propre curiosité, sinon la leur.

Pour le rouquin, la situation était encore plus nébuleuse que pour la majeure partie de ses compagnons. Il avait bien sûr déjà entendu parler de Corgenna, bien qu'en des termes très évasifs, notamment de la bouche de Maître Torvin. C'était la capitale du Royaume de Balhaan, et l'une de ses plus grandes villes. Elle se trouvait au nord du Royaume, près de la frontière bashanaise... C'était une cité portuaire, et marchande. De celles où l'activité fourmillait incessamment, où les bruits et les clameurs ne se taisaient jamais, où les gardes patrouillaient engoncés dans de lourdes armures pour dissuader les badauds de se livrer à quelques sordides exactions. Mais c'était aussi une ville où les bâtiments étaient gigantesques, où les places accueillaient nombre de statues et de fontaines, où l'art s'épanouissait, où les teintures les plus délicates étaient échangées contre une poignée d'épices provenant de la lointaine Mer Exerragi. C'était, enfin, le bourg au sein duquel la famille Royale avait établi ses quartiers immémoriaux ; ceux-ci se trouvaient non loin du palace de l'Oracle, haut-lieu de la vie spirituelle du Royaume de Balhaan, où l'Oracle demeurait à chaque heure du jour et de la nuit. C'était probablement là-bas qu'il leur faudrait se rendre...

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant