Le Royaume de Balhaan

Chapitre 78

— Ils sont douze, nous sommes quatorze, observa Erik en revenant à hauteur de ses camarades. Nous avons une légère longueur d'avance ; tâchons de la conserver intacte.

— Andrek, Akis et Satin doivent demeurer en retrait, corrigea Sylas sans plus attendre. Pas certain que cet avantage soit si impactant.

— Il l'est, répondit Dixan, à partir du moment où ils souhaitent surtout nous cibler nous, les anciens Orphelins.

— J'ai du mal à y croire, intervint Nakata après un instant de silence. Je ne serais pas étonné qu'il ait menti ; il n'en serait pas vraiment à son coup d'essai. Cela nous pousserait à prioriser votre sécurité... et cela pourrait leur ouvrir une voie royale pour s'en prendre aux membres les moins aguerris de la Huitième.

Leur conversation avec Salomon et Sidoni venait tout juste d'être achevée brutalement par la rhétorique impétueuse d'Aiz ; ils savaient qu'ils n'avaient qu'une poignée de minutes pour mener à leurs termes les ultimes préparatifs de cette bataille rangée. Fort heureusement, leur périple depuis le Pic Zygos leur avait donné suffisamment de temps pour organiser quelques tactiques collectives à mettre en œuvre au moment opportun. Ils pouvaient capitaliser là-dessus, et simplement terminer d'établir un ordre de bataille crédible et cohérent...

— Je vais me charger de Sidoni, reprit Nakata. Laley, tu dois utiliser ton pouvoir sur Dixan et sur Kurl. Ils n'ont aucune raison de se porter au corps-à-corps pour combattre, et il faut à tout prix qu'on les tienne éloignés du danger. Ils seront cruciaux dans les batailles à venir.

— Tu changes vite d'avis, commenta Dixan en arquant un sourcil. 

— Je pense toujours qu'il a menti, mais une précaution n'est jamais de trop. Et puis, si vous êtes parfaitement libres de vos mouvements, vous pourrez intervenir un petit peu partout en peu de temps. On aura besoin de ça. 

Tous opinèrent du chef avec plus ou moins de conviction ; finalement, on se mit en garde et on attendit, disciplinés, que les choses se mettent en ordre de l'autre côté du no man's land. Akis, pusillanime, tâcha de se rappeler du rôle qu'on lui avait confié. A peu de choses près, il serait similaire à celui de Dixan ou de Kurl : il devait se tenir à distance de leurs ennemis et, au moment opportun, emprunter un pouvoir adverse dont il aurait deviné les contours pour se l'approprier. On lui avait déjà vendu la mèche, en ce qui concernait les talents de Sidoni et de Salomon, les seuls connus des Orphelins commandants ; mais il valait mieux qu'il ne les subtilise pas dès à présent, sans quoi l'effet de surprise s'évanouirait et tous choisiraient de s'en prendre à lui. Les membres de la Première Brigade Royale, pour l'heure, ne lui accordaient pas de réelle importance ; sans doute n'avaient-ils pas été mis au courant des racontars qui couraient à son sujet, suite à leur excursion sur le sol kalois... Ou peut-être n'accordaient-ils simplement à ces ragots aucune crédibilité. 

Dans tous les cas, Nakata et Dixan s'étaient chargés de signifier à leurs pairs que le premier contact avec les troupes ennemies serait rugueux. Ils étaient connus pour mener des charges héroïques et fracassantes : la faute en incombait au pouvoir de Sidoni qui, cette fois-ci encore, ne manqua pas d'être utile. Une aura blanche s'étendit au-dehors de son corps et enveloppa le moindre de ses subalternes ; et lorsqu'ils se mirent en mouvement, ce fut avec une vitesse légèrement accrue. Elle était en capacité d'améliorer la rapidité de tous ses subordonnés, de manière à les rendre plus efficaces. Sidoni, en tête de file, était la plus véloce de ses pairs ; elle se jeta sur leur contingent en un éclair... et Nakata, comme prévu, fut le premier à lui barrer la route en se jetant à sa rencontre. 

Leurs épées se percutèrent avec virulence et Nakata, pourtant plus lent que son opposante, tournoya avec une telle agilité qu'il fut le premier à renchérir. Son coup d'estoc, chirurgical, contraignit la jeune femme à se pencher sur sa droite ; il ne fit qu'effleurer sa joue tandis qu'elle-même ripostait virulemment, menaçant de le trancher en deux dans le sens de la largeur. Il ne s'en émut guère et, d'une nouvelle pirouette dont il avait le secret, s'évada pour mieux revenir à la charge.