Chapitre 57

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Le répit ne fut évidemment que de courte durée ; l'intrusion ne pouvait pas rester impunie, du point de vue des soldats de Kale, et il n'y avait à leurs yeux d'autre moyen d'agir que de prendre les armes. Deux soldats, cette fois-ci bien ordinaires, traversèrent ainsi le nuage de poussière qu'Aiz avait surélevé bien malgré lui. Ils fondirent dans sa direction avec une certaine bravoure, que beaucoup auraient été tentés de confiner à l'idiotie... et le commandant, bien sûr, les reçut avec la fermeté qu'on lui connaissait. Les plaques en acier qui couvraient son bras gauche s'érigèrent sur la trajectoire des deux lames, les interrompant dans leurs courses folles ; les deux hommes tressaillirent en constatant la force brute qu'était en mesure de déployer leur vis-à-vis, puis furent repoussés si vigoureusement par ce dernier qu'ils s'envolèrent à leur tour, retombant à plusieurs mètres de là dans un bruit déjà étouffé par les clameurs et les hurlements. C'était toute une armada qui se mettait en branle, bien incapable de comprendre ce qui était arrivé à ses remparts. En attendant de le découvrir, les défenseurs de Kalk Azon étaient prêts à mettre leur vie dans la balance.

L'assaillant suivant du commandant fut, cette fois-ci, tout de métal. Un automate similaire en tout point à ceux qui avaient affrontés la Huitième approcha de lui en levant haut son arme. Une fois encore, Aiz parvint à l'atteindre et à l'encaisser sans broncher, malgré la puissance incommensurable que les automates pouvaient déployer à l'envi ; puis, d'un coup de poing, il décrocha la tête de son adversaire et l'envoya paître un peu plus loin. La machinerie immonde s'effondra tandis qu'une nouvelle volée de flèches trouait la poussière et menaçait de cribler le corps du commandant à de multiples endroits ; il se recroquevilla tant bien que mal en brandissant ses bras et attendit sans broncher, malgré les quelques estafilades que les projectiles vinrent lui infliger çà et là.

— Il ne pourra pas tenir éternellement ! Foncez l'aider !

Dixan remit un peu d'ordre dans les idées de ses subordonnés ; mais il agit, lui aussi, en expédiant l'eau qu'il manipulait jusqu'au nuage de poussière qui retombait encore paresseusement, masquant leur vue à tous. Il l'engloba et précipita sa chute, révélant alors l'ampleur des dégâts infligés à la forteresse par l'héroïque charge du pugiliste : c'était un trou de plusieurs mètres de large qui s'étendaient devant eux, et qui pouvait leur permettre un accès grandement facilité à la cour intérieure. Akis s'élança à la suite de Silvia et d'Amara sans trop hésiter, voyant qu'Aiz était, malgré toute sa superbe, dans une situation relativement précaire ; mais une flèche décochée par Kurl les dépassa en trombe, tous les trois, et vint transpercer cinq ou six archers d'acier qui canardaient incessamment le commandant depuis les hauteurs. Cela offrit au colosse l'opportunité de se déplacer sans craindre pour sa vie ; et il s'éloigna donc de la brèche pour venir se plaquer contre un pan de la muraille qui tenait encore debout, manifestement satisfait de sa brève mais intense prestation.

Trois automates épéistes, toutefois, tâchaient de le suivre pour l'occire ; ils s'engagèrent, malheureusement pour eux, dans le trou qu'il avait causé au moment même où Silvia leur parvenait, portée par ses ailes et par l'inertie surnaturelle que lui conférait son pouvoir. S'il en était une que le don de Laley sublimait, c'était bien elle : habituellement cantonnée au sol, elle était désormais en mesure de déployer son pouvoir vers les hauteurs également... De quoi conférer à ses charges une violence toute nouvelle. Son bouclier fracassa les trois soldats sans leur laisser la moindre opportunité de répliquer ; puis, les tempes battant d'ivresse et de rage, souhaitant avant toute autre chose venger l'affront dont sa commandante avait été victime, elle enchaîna en surgissant dans la cour intérieure et en pulvérisant les premiers ennemis qui se présentaient à elle.

Amara et Akis, un brin en retard, parvinrent au niveau de la cour au moment où elle fracassait son vingtième ou trentième opposant. Dans le même temps, quelques soldats s'extirpèrent du donjon principal ; bien humains, ceux-ci. Ils marquèrent un temps d'arrêt, le sang glacé d'effroi, en constatant qu'eux seuls ne parviendraient pas à rétablir l'équilibre dans cette bataille a priori perdue d'avance... mais ils n'eurent pas le temps de se carapater. Amara et Akis furent sur eux en un fragment de secondes ; elle, ardente, lui, invulnérable, vinrent les combattre au corps-à-corps sans plus attendre.

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant