— Quand s'est déroulée la précédente ?
— Il y a plus de quinze ans, il me semble...
La voix posée et sereine de Mezagar s'était faite entendre la première ; celle de Leon, plus traînante et plus grave, n'avait pas manqué de lui répondre comme un écho. Son timbre, si particulier, si grinçant, semblait provenir d'un autre âge... et les rides qui courraient sur son visage entérinaient cette impression singulière. Burinés qu'ils étaient, ses traits donnaient l'impression d'une statue de marbre qu'on aurait trop peu polie. De quoi renforcer l'aspect caverneux de sa voix, qui semblait comme provenir du raclement de roches friables qu'on frottait lentement l'une contre l'autre...
L'un et l'autre étaient des célébrités des Brigades Royales de Balhaan. Ils œuvraient de concert au sein de la même unité : la septième. Mezagar en était le meneur charismatique. Bon nombre d'observateurs voyaient en lui le troisième soldat le plus talentueux des Brigades, après Lida et Nakata. L'Oracle en personne était de cet avis. D'autres allaient jusqu'à prétendre que son expérience lui donnait envers et contre tout une relative longueur d'avance : il était âgé de quelques sept à huit ans de plus que ses cadets, et avait à ce titre régné au sommet de sa Brigade deux fois plus longtemps qu'eux.
Quant à Leon, il s'agissait tout bonnement du doyen des membres des Brigades Royales, à cette époque. Âgé de plus de soixante-dix ans, il ridiculisait Erik et ses ambitions d'une retraite qu'on aurait pu juger précoce. Pourtant, le vieillard ne s'était jamais ému de voir des combattants plus jeunes que lui d'une vingtaine d'années déposer les armes : il avait simplement choisi qu'il mourrait en poste, contrairement à la majeure partie de ses compagnons qui, au fil des décennies, avaient toujours privilégié une porte de sortie plus orthodoxe. S'il était sec et rongé par le temps, il n'en conservait pas moins le regard brillant qui avait fait de lui un soldat fameux au cours de sa jeunesse : son pragmatisme était une arme encore affûtée, et Mezagar usait tout particulièrement de lui comme d'un conseiller de premier ordre. Leur relation, unique en son genre au sein des Brigades, était assimilable à celle qu'un père entretenait avec son fils ; à ceci près que l'autorité s'était estompée depuis belle lurette.
— Je ne pensais pas revoir l'Oracle avant ma mort, pour parler vrai, grogna Leon en baladant son regard sur la missive que son chef venait tout juste de recevoir.
— Ou avant la sienne, rectifia Mezagar en affichant un sourire presque moqueur. S'il en est un qui devrait prendre sa retraite, c'est bien lui. La sénilité le guette.
— Surveille tes paroles, le corrigea vertement son aîné. L'Oracle ne peut pas perdre la tête. Son existence précède la notre, et son trépas éclaire le crépuscule de nos vies.
Cette maxime que Leon venait d'énoncer sentencieusement n'était pas de son fait : elle était répétée inlassablement par des générations et des générations de soldats au service de la Royauté de Balhaan depuis des temps immémoriaux. Bon nombre de légendes racontaient que l'existence de l'Oracle était intimement liée à celle du Roi, et nul ne savait précisément lequel de ces deux titres avait vu le jour le premier. La seule différence entre ces deux fonctions prestigieuses, c'était que l'identité de l'Oracle se fondait toute entière derrière ce seul sobriquet ; le Roi, lui, conservait jalousement sa place au sein de son lignage, son nom, ses qualités et ses hauts-faits. Les contes se confondaient dès lors aisément, formant une masse de savoir informe, aux contours nébuleux, que les savants du Royaume s'échinaient à éclaircir brique par brique. On racontait, par exemple, que c'était l'Oracle qui avait soumis à l'un des Rois l'idée de créer les Brigades Royales afin d'assurer la sécurité de son domaine et de ses sujets...
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Le Royaume de Balhaan
FantasyLe continent d'Ipeiris connaît un regain de violence épouvantable. Les multiples Royaumes qui courent à sa surface s'entredéchirent dans l'optique d'asseoir leur suprématie sur leurs rivaux historiques. Au beau milieu de ce bourbier demeure le peti...