— Chat échaudé craint l'eau froide. Pour le moment, le Royaume de Kale n'osera pas tenter sa chance à nouveau ; mais combien de temps peut-on penser que cette situation perdurera ? Et au-delà de ça, c'est une question pour le très long terme ! Quand Kurl, Vivel, Aiz et les autres ne pourront plus mener leurs bataillons au combat, qui prendra leur place ?
— N'importe qui, sauf des Cydystaris, soupira Lida, lasse.
— C'est stupide ! On va se priver d'une force militaire de grande envergure, et pourquoi ? Parce que ça pourrait hypothétiquement servir les desseins d'individus malveillants ? tempêta Nakata en retour.
— Exactement ! L'Oracle ne t'a pas servi de leçon ? Notre simple existence en tant que Cydystari ne devrait pas être permise ! Cela doit devenir le plus grand tabou de notre pays !
— Qui peut te faire croire, au juste, qu'un type isolé ne parviendra pas à découvrir le principe de la Cérémonie par ses propres moyens, ou par hasard, d'ici quelques siècles ? Quand il deviendra le seul et unique Cydystari de tout le pays, comment s'assurer qu'il n'utilisera pas ses nouveaux pouvoirs à de mauvaises fins ?
— Ne me prends pas pour une enfant ! Je sais très bien que le risque zéro n'existe pas, et qu'il ne suffit pas de mettre sa tête dans le sable pour qu'une situation de danger potentiel disparaisse. Mais je ne veux pas être tenue pour responsable de l'émergence d'un nouvel Oracle ! Je ne prendrai pas cette responsabilité !
— Ce que tu peux être bornée... soupira l'épéiste solaire en se pinçant l'arête du nez.
— Dit-il ! riposta-t-elle, offusquée.
C'était dans ces instants que Deny Ier aurait tout donné pour pouvoir disparaître. Il aurait aimé avoir eu la lucidité, quelques jours plus tôt, quand on était venu le trouver dans son palais Royal pour lui annoncer la mort de l'Oracle, pour lui raconter tout ce qui s'était déroulé de troubles au sein de sa mirifique capitale, de décréter que le pouvoir ne lui seyait guère. Et le courage d'utiliser sa richesse indécente pour s'acheter un palace à l'autre bout du continent, aussi ; cela aurait été commode, de se tenir aussi éloigné que possible de ces deux formidables combattants, qui semblaient être à deux doigts de s'écharper aux dépens du faste extravagant dont débordait son auguste bureau.
Mais au contraire, il avait été flatté par leur volonté commune de le conforter dans ses royales responsabilités. Parce qu'ils avaient bien compris que l'Oracle agissait dans l'ombre, à ses dépens ; parce qu'ils avaient, envers et contre tout, formulé le vœu de protéger la famille royale jusqu'à leur mort ; parce qu'ils avaient le sentiment, aussi, qu'il n'était ni assez arrogant, ni assez fantasque pour faire un mauvais monarque. Il avait accepté leurs propositions de remettre un peu d'ordre dans les affaires politiques de Balhaan, toutefois, en nommant des Tribuns ; des femmes et des hommes susceptibles de le conseiller dans des domaines divers, qu'il était tenu d'écouter, qui pouvaient même surpasser son pouvoir s'ils tombaient sur un consensus. A ce titre, Deny Ier avait bien conscience, avant même que cela ne devienne plus concret, qu'il ne prenait pas grand risque ; il était difficile d'imaginer Lida et Nakata tomber d'accord plus d'une fois par semestre.
S'était alors posée la question du nombre de Tribuns. On avait d'abord envisagé qu'ils seraient cinq ; parce qu'il était pertinent d'en avoir un nombre suffisamment grand pour s'abreuver d'avis divers, et parce que cela restait suffisamment modeste pour ne pas poser de problème lors des débats. Mais Charles Delistel, fortement pressenti pour l'une de ces cinq places, avait d'office annoncé sa volonté de se retirer du monde politique et militaire, sans délai. Quel Roi aurait-il été s'il avait interdit à son militaire le plus décoré de profiter un petit peu plus de sa famille, après avoir tant et tant frôlé la mort au nom du Royaume ? Cela les avait poussé à réviser le nombre initial, à l'abaisser à trois.
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Le Royaume de Balhaan
FantasyLe continent d'Ipeiris connaît un regain de violence épouvantable. Les multiples Royaumes qui courent à sa surface s'entredéchirent dans l'optique d'asseoir leur suprématie sur leurs rivaux historiques. Au beau milieu de ce bourbier demeure le peti...