Chapitre 71

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— Oula... Ça en fait, du beau monde, affirma Mezagar en affichant un sourire sardonique.

— Que va-t-on faire ? l'interrogea Leon.

Le commandant de la Septième Brigade, avachi sur son fauteuil, jeta sur son bureau la missive qu'il venait de recevoir et de lire ; il se redressa sous les yeux pesants de son plus fidèle lieutenant et planta son regard dans celui d'Emilia, laquelle était également présente. Elle tenait son rang, comme toujours, docile et silencieuse... mais il pouvait deviner qu'elle bouillonnait d'une hargne inégalée en son for intérieur. Se serait-elle jetée à l'assaut de Corgenna pour venir en aide à sa vieille amie s'il n'avait pas été là pour l'en dissuader par sa seule présence ? Possiblement. Il n'avait jamais été simple de lire en elle, dans l'absolu. Il n'était pas certain qu'elle ait jamais tourné la page de sa vie à l'Orphelinat ; pour autant, il n'avait jamais eu à se plaindre d'un comportement problématique de sa part. Elle était même, au demeurant, l'un des meilleurs éléments de sa Brigade...

— Bonne question. Nakata, Dixan, Aiz et Lida ne seront pas tombés d'accord pour se rebiffer face à l'autorité Royale sans une bonne raison d'agir de la sorte... Et le simple fait que l'Oracle ait dépêché la Première pour tuer ce problème dans l'œuf laisse à penser qu'il a effectivement quelque chose à se reprocher.

— Tu serais prêt à les suivre dans leurs élucubrations ? s'étonna Leon de sa voix grave. Il va sans dire que Nakata a profité de leur amitié pour les amener sur une piste bien dangereuse...

— Peut-être, admit Mezagar. Mais tout coq qu'il est, il ne m'a jamais semblé spécialement malveillant.

— Il y a des tonnes de façon d'exprimer de la malveillance. Saper l'autorité du Roi en est une. Surtout lorsqu'on est censé incarner son armée la plus émérite.

Les maximes sentencieuses de Leon semblèrent ennuyer le commandant, qui chassa ces propos et cette attitude paternaliste d'un geste agacé de la main ; son subordonné en prit ombrage et se renfrogna, mais ne chercha pas à se faire entendre davantage. Mezagar se concentra donc plus assidument sur Emilia, dont il essayait de découvrir les intentions.

— Nous avons pour ordre de nous rendre aux abords de Corgenna dans le cas de figure où Nakata et les autres voudraient désobéir jusqu'au conflit... Si cela devait arriver, nous devrions les combattre. Serais-tu prompte à prendre leur parti, ou me suivrais-tu jusqu'à la mort, dans de telles circonstances ?

Il arqua un sourcil, grandement amusé par cette opportunité qu'on lui conférait de mettre au défi la fidélité de sa plus puissante subordonnée. Cette dernière, d'abord impavide, se rapprocha finalement de lui avec franchise ; elle l'empoigna par le col et plongea dans son œil unique un regard furibond.

— Ne prends pas mon serment à la légère, Mezagar. Tu es peut-être le commandant de cette escouade, mais tu n'en es pas, loin s'en faut, l'élément le plus mature. Alors cesse de me manquer de respect et concentre-toi sur les responsabilités qui t'incombent.

Elle le relâcha sèchement et il s'affala à nouveau dans son fauteuil, rieur. Leon soupira, mais ne pipa mot ; Emilia, finalement, retourna à sa place et s'y figea non sans avoir préalablement pris le parti de croiser les bras, trahissant son agacement. Elle veillait à paraître aussi imperturbable que possible, mais il allait sans dire que toute cette sordide affaire éveillait en elle une myriade d'inquiétudes... D'autant plus qu'elle était loin du reste de sa bande, contrainte d'être tenue dans le secret. Contrairement à ce que son commandant prétendait, elle n'avait pas voix au chapitre, ne l'aurait jamais.

Et c'était peut-être mieux ainsi ; elle ne se prétendait pas infaillible.

— Elle n'a pas tort. Que fait-on, alors ? grommela Leon, cherchant à ressusciter autant de sérieux que possible.

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant