Chapitre 35

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Sora se laissa glisser entre les deux jambes charpentées de l'un des automates qui semblait l'avoir pris en grippe. L'épée massive de cet être d'acier percuta le sol dans un bruit sourd ; dans le même temps, le jeune membre de la Huitième englua la lame de cette arme redoutable d'un fil qu'il expédia droit vers le casque d'une autre créature. Ce qui devait arriver arriva : la première se redressa, tournoya sur elle-même... et acheva de s'empêtrer, s'effondrant en occasionnant par la même la chute de son alliée. Habile, le combattant n'eut qu'à glisser l'un de ses kusarigamas sous la jointure du simulacre de casque qui, au niveau du cou, s'évasait quelque peu : les bêtes s'immobilisèrent et, en expirant bruyamment, il entreprit de balayer le champ de bataille d'un regard critique.

Le nombre d'assaillants ne désenflait guère. Malgré les efforts cataclysmiques que déployaient leurs meilleurs combattants, au sommet desquels trônaient évidemment Lida et Silvia, les deux seules qui, par le biais de leurs pouvoirs, étaient en mesure de surclasser leurs opposants sur le plan de la force physique pure, les soldats d'airain du Royaume de Kale demeuraient si nombreux que la bataille donnait l'impression de s'éterniser sans laisser à aucun des défenseurs de Balhaan un véritable motif d'enthousiasme. Cela faisait pourtant déjà plus d'une dizaine de minutes que leur commandante s'était élancée, la première, afin d'en découdre avec ces opposants inhumains... Jamais, de mémoire d'homme, la Huitième n'avait eu à batailler si fiévreusement pour protéger son domaine.

Mais d'entre tous les secteurs, c'était encore à l'arrière que la situation se faisait la plus épineuse. Erik, heureusement, parvenait à temporiser en expirant sa fumée sous la forme d'une colonne dense qui, dégringolant sur les silhouettes métalliques, parvenait généralement à les plaquer au sol et à les y immobiliser durablement. Mais le quadragénaire devait bien régulièrement reprendre son souffle, ce qui rendait aux ennemis leur liberté de mouvements : et c'était à l'occasion de ces brefs instants que les dangers guettaient plus que jamais. Rolan, bien qu'adroit, était en peine face à ces créatures grotesques : aucune pensée ne les animait, et leurs ersatz d'yeux ne reflétaient aucune âme dont il était susceptible de capter les songes. En conséquence, il ne pouvait compter que sur ses facultés bien humaines : celles-là même qui décroissaient depuis désormais une petite décennie... De fait, il était moins utile qu'il n'aurait pu l'espérer, et il devait parfois, comble de l'ironie, compter sur le concours de ceux qu'il était précisément censé protéger.

Au moment où un nouveau soldat fondait sur Rolan avec l'intention manifeste de le pourfendre, Satin se rendit utile : il tendit une main fébrile en direction de la créature massive et parvint à l'immobiliser grâce à un buisson de bruyère qui se trouvait non loin. Celui-ci s'agita, se mit à grandir et s'entortilla autour des bras et des jambes factices de cette chose belliqueuse, ralentissant le moindre de ses mouvements. Cela permit à Jade de se joindre à la mêlée : un bras pointé en direction de leur assaillant, elle balança une pique large comme sa main, qui se ficha dans le torse adverse en occasionnant des dommages irréversibles. Le soldat de Kale s'effondra sur l'arrière lourdement, dans un râle qui tenait davantage de l'insupportable crissement que du dernier soupir expié à l'article de la mort.

Le pouvoir qu'elle avait hérité de Laron n'était pas anodin : elle était capable, comme il l'était de son vivant, de créer des piques longues et larges depuis son épiderme et de les projeter à volonté. Mais elle était encore malhabile et plutôt lente : aussi Jade comptait-elle précisément sur l'aide apportée par ses compagnons, dont Satin, qui était en mesure de manipuler la végétation ambiante. L'érudit avait néanmoins pour ce faire besoin de déployer des efforts considérables... Tant et si bien qu'il se satisfaisait évidemment d'une position de second couteau, comme cela était le cas lorsqu'il se contentait d'ouvrir la voie à sa jeune collègue.

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant