Chapitre 8

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Leur périple reprit séance tenante. On laissa bien sûr à Akis l'opportunité de faire ses adieux à ses proches ; il s'attarda tout particulièrement auprès de ses deux parents, qu'il n'avait jamais imaginé quitter aussi brusquement, ainsi que de Lily et de Sphinx, deux des rares habitants de son âge qui semblaient apprécier sa proximité. Puis il s'en fut, aux côtés des membres de la Huitième Brigade, dans un silence des plus pesants. Il suivit le mouvement, étonnamment quiet, sans doute ému. Ses nouveaux camarades, trop bienveillants pour le charrier, se contentèrent de lui laisser un peu de temps pour se remettre de ce départ réalisé à la hâte, en pressant le pas le long des sentiers qu'ils empruntaient successivement.

On avait entassé les vivres offerts par le Bourgmestre d'Aville dans les besaces que les montures des soldats transportaient, accrochées à leurs selles. Tous progressaient à pieds, dans la mesure où les aspérités du terrain ne permettaient pas aux chevaux de progresser bon train. Une précaution valait mieux que mille remèdes... En outre, nul n'ignorait qu'Akis, de par son éducation de parfait miséreux, n'avait jamais appris à monter à cheval : il faudrait y remédier le plus vite possible, dans la mesure où la Huitième Brigade préférait tout de même, la majeure partie du temps, réaliser les trajets qui s'imposaient à elle à dos de fringants destriers.

Et Andrek s'y employa, le premier, à l'occasion de la première halte réalisée par la Brigade. Après quelques heures d'une procession relativement molle, Lida ordonna à ses subalternes de marquer un arrêt dans une clairière herbeuse, au milieu de laquelle serpentait un ruisseau famélique. Le cours d'eau, tout malingre qu'il était, leur fut néanmoins suffisant pour permettre aux soldats comme aux bêtes de se désaltérer ; puis on profita de la fraîcheur forestière et de la douceur des rayons du soleil pour lézarder un peu. Akis étendait tout juste ses jambes, nullement exténué à la suite de ces quelques heures de marche au rythme de promenade, quand l'autre apprenti se porta à sa hauteur en lui tendant un morceau de pain frais, cuit dans le four de la boulangerie d'Aville l'avant-veille.

— Tu tiens le coup ?

— Oui... J'ai toujours aimé marcher.

— Profite, dans ce cas. On risque d'accélérer l'allure d'ici un ou deux jours. Rolan disait qu'on pouvait arriver au Pic Zygos d'ici une semaine.

D'un air absent, Akis opina du chef. Ces distances lui semblaient encore abstraites... Il s'empara du quignon qu'on lui tendait et le dévora goulument, tout en se remémorant les quelques histoires qu'on avait pu lui conter à propos du Pic Zygos.

Le Maître Torvin racontait à qui voulait bien l'entendre qu'il avait déjà vu cette montagne griffue à l'horizon à l'occasion de ses innombrables voyages, dans le cadre de son apprentissage. Celui-ci s'était déroulé près de trente ans plus tôt, mais le rouquin imaginait sans peine que ce mont solitaire n'avait pas dû changer beaucoup. On lui avait décrit ses falaises escarpées, son allure chaotique. Il se déployait bien au-delà des altitudes qu'atteignaient les montagnes alentours, servant de frontière naturelle entre le Royaume de Balhaan et son voisin, le Royaume de Kale. Un froid vigoureux y régnait en maître, et seules les espèces animales pourvues des fourrures les plus denses pouvaient y subsister... En l'état, il était difficile de croire que l'une des Brigades avait choisi d'y élire domicile. D'une voix nasillarde, un brin anxieux, il ne put s'empêcher de questionner Andrek à ce propos.

— C'est vraiment aussi... aussi dangereux qu'on le dit ?

— Le Pic Zygos ? Tout dépend pour qui. Pour nous, non. Enfin, pas à cette période. Les neiges et les glaces n'entravent la grand-route qu'on emprunte qu'un mois par an. Et comme on voyage léger, on ne risque pas d'être coincés... Pour les civils, c'est une autre affaire. L'ascension demande une fameuse endurance. Rares sont ceux qui peuvent la réaliser en un seul jour, et bivouaquer en nombre restreint est périlleux à cause des loups qui s'y promènent librement, la nuit.

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant