Chapitre 66

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Une fois de plus, son coup d'épée percuta l'espèce de longue tige noire que les corbeaux formèrent en s'unissant, en se fondant les uns dans les autres ; une fois de plus, le son strident que sa lame produisit se répercuta le long de cette tige et mourut sans jamais atteindre le Cydystari qui lui faisait face. Sylas fut tenté de pester et d'injurier son opposant ; celui-ci semblait prendre un malin plaisir à ne surtout pas le combattre. Il demeurait à l'écart, précautionneusement, et se contentait d'utiliser son pouvoir à distance... Il manipulait une matière noire, solide, qui prenait généralement la forme d'une nuée de choucas. Un pouvoir étrange, aux contours encore flous du point de vue du bretteur qui devait adapter sa propre conduite en conséquence : hors de question de se jeter dans la gueule du loup insouciamment dans l'état actuel des choses. Car il n'était pas le seul à combattre dans le grand hall du donjon principal, où leur ennemi s'était calfeutré en attendant leur approche : Silvia et Erik, à quelques pas de là, avaient également un opposant redoutable.

Le Cydylaïn auquel ils se confrontaient, un tigre massif et belliqueux, ne subissait pas la moindre des blessures qu'ils tentaient de lui infliger. Les coups d'épée se contentaient de le pourfendre de part en part en répandant du sable le long de ses plaies... Cette chose était peu ou prou intangible, et aucun des efforts conjugués des deux membres de la Huitième n'avaient réussi à percer à jour le mystère de ce pouvoir surprenant. Ainsi, pour le moment, et même s'il ne se trouvait pas spécialement dans une situation délicate, le trio patinait, peinait à prendre l'ascendant ; et l'épéiste considérait froidement que cela continuerait ainsi tant qu'il n'aurait pas trouvé le moyen de venir à bout de son propre adversaire. Après tout, s'il ne se trompait pas, et même si ce gars était manifestement un Cydystari, ce tigre était son Cydylaïn ; or, attenter à la vie de l'un, c'était attenter à la vie de l'autre...

Les embardées furibondes de Silvia, contraintes et maîtrisées par le décor qu'elle ne pouvait pas se permettre de ravager, lui permettaient donc de gratifier ce tigre de chocs virulents qu'il ne craignait pas ; lui répliquait à qui mieux-mieux de grands coups de griffe qui n'atteignaient jamais la belle guerrière, soit parce qu'elle interposait son bouclier avec poigne et doigté, soit parce que la fumée d'Erik glissait jusqu'à elle au bon moment et parvenait à la protéger en lui permettant de se focaliser sur l'offensive. Jusqu'à présent, cette lutte était donc fermée...

Rageusement, Sylas évita la tige sombre et se rua dans la direction de son opposant. Celui-ci n'avait pas l'air de disposer d'armes ; s'il parvenait au corps-à-corps, il aurait tôt fait de corriger cette insouciance provocatrice... Le problème, comme à chaque fois, fut l'étrange pouvoir sombre de son vis-à-vis, lequel reprit la forme de son vol d'oiseaux ; les bestioles revinrent à la charge et recommencèrent à le harceler, tournoyant autour de lui, fondant sur ses bras ou ses jambes pour le déséquilibrer, le désarmer, le contraindre à marquer un arrêt voire à mettre genou à terre. Quelques esquives bien senties lui permirent de se dégager de cette poignée d'adversaires particulièrement insistants, mais il dut pour ce faire battre en retraite de quelques mètres... et son opposant sembla s'en amuser, affichant un sourire railleur sur sa mine satisfaite.

Un nouveau coup d'épée à distance de la part du chevalier de la Huitième eut pour ambition d'expédier son bruit incisif vers l'avant ; une nouvelle fois, les corbeaux se réunirent sur la trajectoire de sa lame pour former une espèce de muret, lequel capta le son et l'enferma. L'édifice obscur vibra, la création de Sylas semblant s'y réverbérer l'espace d'un instant avant d'y mourir, inévitablement, sans parvenir à mettre en danger l'effronté intrus qui le tenait en échec jusqu'à présent. Puis, sans crier gare, le ballet reprit là où il avait cessé ; les corbeaux retrouvèrent leur unité, revinrent le tourmenter en lui filant occasionnellement quelques coups de bec, douloureux mais pas franchement dangereux. Quelques petites estafilades commençaient à l'élancer au niveau des bras, mais rien d'incapacitant ; le souci, c'était surtout que Sylas craignait un instant de faiblesse, lequel permettrait aux corbeaux de l'atteindre plus sévèrement. Au niveau de la tête, par exemple, parce qu'il n'était pas rare qu'ils laissent trainer leurs sales pattes à hauteur d'œil...

Le Royaume de BalhaanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant