Chapitre 7

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Mes yeux fixent mes parents avec colère alors que ma voix dégouline de frustration et des craintes accumulées depuis des semaines. Je peux lire la surprise et le choc sur leur visage avant que papa ne s'énerve complètement comme il le fait toujours quand il ne contrôle pas une situation ou qu'il est pris au piège.

« Tu es notre fille, rien ne changera cela. »

« Ah oui ? Car je n'ai pas l'impression de faire partie de votre famille puisque vous m'avez mise à l'écart de ce que je suis en droit de savoir. »

« Nous savions qu'il y avait un risque comme pour toutes les adoptions. » commence maman.

« Mais nous ignorions que cela pouvait nous arriver. Nous l'avons appris dans l'enveloppe, l'original de celle que tu as dans la main. »

« Pourquoi avoir laissé Tan s'approcher de moi ? Pourquoi ne m'avoir rien dit pendant tout ce temps ? »

« Nous avions le contrôle de la situation jusqu'à ce que comment il s'appelle ? »

« Tan. »

Je crache son nom avec dégoût et rage.

« Tan. » répète papa.

« Le jour où tu n'as raconté ce qu'il s'est passé au parc et ce qu'il t'a dit... Tout nous a échappé. » termine maman.

« J'ai surtout la sensation que tout vous échappe depuis le début. »

Je remonte à l'étage et me réfugie dans ma chambre en la fermant à clé. Papa et maman me suivent en courant. Ils tentent d'ouvrir la porte mais j'ai récupéré toutes les clés de l'étage quand nous avions emménagé ici. Je m'assois sur mon lit et serre mes ours en peluche dans mes bras.

« Chérie... » pleure maman de l'autre côté de la porte.

« Nous t'aimons. Tu es notre fille. » dit papa avant de demander à maman de me révéler ce que j'ignore.

Un long silence s'en suit. Je suppose que Maman réfléchit aux meilleurs mots.

« Nous avions toujours voulu une fille et pour rien au monde je ne t'aurais échangée à la naissance... »

« De toute façon, nous n'aurions pas pu. Ce sont les conditions pour adopter. Ils proposent et nous n'avons pas d'autre choix. Si nous refusons, le dossier de demande d'adoption est ajourné. » se justifie papa.

« Les détails ne sont pas nécessaires. » répond maman.

Je ne réponds pas, de toute façon je n'ai plus les mots. J'attends la suite.

« L'année où tu es née, le Viêt-Nam était l'un des pays où il y avait le plus d'adoptions par la France. Papa et moi voulions une fille et avons spécifiquement fait cette demande dans le dossier. J'ai signé tous les papiers nécessaires et l'orphelinat a finalement cédé. Comme l'a précisé papa, je ne t'ai vue que lorsqu'ils t'ont mise dans mes bras. C'était la première fois que je te voyais et je me souvenais que tu pleurais. Je n'ai jamais su pourquoi... Je ne sais pas pourquoi tu étais dans cet orphelinat, je ne sais rien de tes parents biologiques mais je sais qu'à cette époque les filles étaient soit gardées auprès de leur famille pour... les vendre... soit abandonnées parce que justement ce sont des filles et dans certaines familles de Saïgon il a toujours mieux valu avoir des garçons. Quoi qu'il en soit, j'ai pu t'avoir, toi, tandis que les deux autres couples avec moi se sont vu proposer d'autres enfants. L'un d'eux devait adopter également une fille et l'autre un garçon. Je sais que le second est venu me voir pour me proposer un échange entre lui et toi. Ce que j'ai refusé. Sans même demander à papa. »

« Et j'étais d'accord ! » coupe papa.

A travers le mur, je peux sentir le regard noir que maman lui jette pour l'avoir interrompue.

« Je ne sais pas ce qu'il s'est passé après entre eux mais je sais qu'ils ont tout essayé pour changer d'enfants. Après tu es arrivée en France et tu connais la suite jusqu'au fameux jour de l'enveloppe. Tu as la copie, donc tu sais qu'il s'agit du contrat de la famille ayant dû adopter le garçon alors qu'ils souhaitaient aussi une fille... »

« Et la mienne en l'occurrence... La nôtre bordel. » crache papa en coupant une nouvelle fois maman.

Le mur résonne contre mon lit lorsqu'il le frappe du poing. Maman continue ses explications.

« Tu as lu le contrat... Tu sais qu'il indique que cette famille n'aurait jamais dû avoir de garçon mais bien une fille. Toi... »

Ma mâchoire se serre de plus en plus et je resserre Caramel, mon ours en peluche préféré, pour tenter de calmer la tempête dans mon cœur. J'ai déjà lu tout ce que je viens d'entendre mais le fait que cela vienne de mes parents est encore plus traumatisant et me fait l'effet d'une claque aller-retour.

« Pour résumer, le garçon aurait dû aller avec la troisième famille. La fille que ce couple a eu à l'époque aurait dû être la nôtre et toi... Tu aurais dû être la fille de la salope qui te réclame aujourd'hui... »

« C'est pour cela que Tan te hait, même s'il n'a aucun rapport avec toi. Il est aussi con que ses parents celui-là ! » grogne papa à travers ses dents.

« Il semble qu'il n'ait jamais pu avoir l'attention de ses parents qui ont toujours voulu une fille, tout comme nous. Ils sont allés en justice pour te récupérer. Aujourd'hui, il les aide seulement car il espère un échange de famille entre vous deux... Que tu retournes dans ta famille légitime et légale et lui se contenterait d'être la compensation pour nous. »

« Il ne sera jamais question de famille avec lui. Tu es notre fille peu importe ce que dit un bout de papier ou trois connards ! »

« Je ne sais pas pourquoi maintenant. Je suppose qu'elle n'a jamais cessé de te chercher. Je ne sais pas non plus si elle fait tout ça pour toi ou pour son égo. »

Mes parents continuent de parler mais une autre colère s'empare de moi. Cette autre fille, Tan et moi ne valions déjà rien pour nos familles biologiques mais en plus nous n'étions que des pions interchangeables entre les mains de l'orphelinat. Je n'étais qu'un numéro parmi tant d'autres. Un numéro couché sur un papier avec l'encre de la double trahison. Mon sort est passé de main en main dans des bureaux administratifs. Je ne suis qu'une valeur marchande plus ou moins respectable.

Je ne suis pas encore majeure que j'ai déjà vécu deux vies bien différentes. L'une sous mon prénom biologique jusqu'à ce que Nantes en décide autrement. Je ne sais rien de cette courte étape de ma vie avant que le passé ne me rattrape. Désormais, tout est réel. Bien trop réel.

Tout est parti d'un contrat. D'un contrat qui a été échangé. Le mien !

Mais la conclusion la plus douloureuse reste sans doute le fait que je sois née dans un dossier...

Le contratOù les histoires vivent. Découvrez maintenant