« Votre honneur, il est tout bonnement impossible de révoquer une adoption. De plus, une demande d'annulation d'adoption ne peut se faire par la personne adoptée si elle était encore mineure au moment des faits. Ma cliente ne peut se voir retirer son enfant légal sur la seule demande non justifiée par faute ou motif grave. » lance Maître Dolios assurance et charisme.
Je note mentalement que c'est la première fois que le professionnel utilise un véritable argument légal.
« Votre honneur, c'est en effet le cas en raison de la loi d'adoption entre la France et le Viêt-Nam. » appuie Maître Nguyen, sûr de lui.
Madame est sur le point de savourer sa victoire et semble prête à me broyer les os. J'échange un regard désespéré avec mon avocate mais retrouve le sourire lorsqu'elle roule des yeux.
« La cour va étudier votre demande Maître. Si votre affirmation s'avère véritable la demande d'annulation d'adoption sera rejetée et l'enfant adopté restera dans sa famille actuelle. »
Le président est sur le point de lever la séance quand ma défense prend la parole.
« Un instant votre honneur. Je souhaiterai préciser les dires de mes confrères. »
Un hochement de tête lui permet de continuer.
« Maître Dolios, j'admets que la loi d'adoption entre la France et le Viêt-Nam empêche toute annulation de demande d'adoption en cas d'adoption simple telle que celle qu'a effectué votre cliente. Néanmoins, comme vous le savez sûrement, ma cliente porte toujours le nom de la famille qui a déposé le dossier d'adoption aux fins de transcriptions au Procureur de la République du Tribunal de Grande Instance de Nantes. En vertu de la loi française, ce document fait acte de naissance de ma cliente, lui accordant de fait la nationalité française et le nom de famille de son père adoptif. »
« Ce n'est pas son père légal. » coupe l'avocat de Madame.
« Laissez-moi terminer. Je ne vous ai pas coupé lorsque vous parliez. Je disais donc votre honneur. L'acte de naissance approuvant le lien légal avec la famille considérée comme telle par ma cliente fait foi d'adoption plénière. De plus, depuis 2011, la loi considère toute adoption comme plénière. Mais dites-moi Maître Dolios, ôtez-moi d'un doute. Quel type d'adoption unit ma cliente à la vôtre ? »
« C'est sa mère légale. »
« Ce n'est pas ma question. »
« Ni ma cliente ni moi sommes obligés de vous répondre. »
« Votre honneur, dois-je faire appel à un autre article de droit pour obtenir une réponse que tout le monde ici connaît ? »
« Maître Dolios, veuillez répondre à la question ou vous constituerez un obstacle dans une procédure justice. »
« Une adoption simple. » répond-il entre ces dents.
« Pardon ? Je pense être un peu sourde de cette oreille et ne vous ai pas bien entendu ? »
« Une adoption simple. » répète Maître Dolios à contre-cœur.
« Une adoption simple donc. Est-ce parce que l'adoption plénière ne pouvait être révoquée ou par cette suffisance de votre cliente ? » demande rhétoriquement mon avocate.
Elle laisse quelques minutes de silence pour que les juges et jurés puissent répondre eux-mêmes à cette question. Elle poursuit ensuite, démontrant toute sa technique.
« En vertu de l'article 370 du Code Civil de la République Française, une adoption simple peut être annulée autrement dit celle de votre cliente envers la mienne. Ceci prouve, messieurs dames les jurés, quelle est la véritable famille de ma cliente. Par ailleurs, si je m'appuie sur les lois de 1996 et 1997, la révocation de l'adoption simple ne peut se justifier que par des motifs graves et notamment 'des manquements graves aux devoirs imposés par le lien de filiation [...]'. J'ajouterai que par motifs graves la loi entend des 'faits reprochés à caractère renouvelé et s'établissant dans la durée'. J'ai ici les preuves avancées et ratifiées par un huissier de justice. Et j'affirme que ma cliente était majeure au moment de la demande de révocation de l'adoption simple. »
Les visages de Maître Dolios, Madame, Monsieur et Tan sont livides. Aucun d'eux ne s'attendait à une telle contre-attaque pourtant si évidente. L'avocat de Madame pensait avoir eu le dernier mot en mettant en avant un caractère important de la loi sur la révocation de l'adoption mais n'a pas considéré la répartie de son adversaire.
« Je pense que nous pouvons conclure et laisser les jurés se retirer pour déli- »
« Votre honneur, je n'ai pas terminé. » coupe mon avocate avant de s'adresser à Maître Nguyen.
« Je souhaiterai maintenant apporter opposition à toutes les accusations avancées par vous et vos clients maître. De même, je tiens à souligner l'importance des requêtes de ma cliente. »
Cette fois ce sont mes parents biologiques et leur avocat qui blanchissent.
« Je voudrais faire appel à un point important de la Convention du décret numéro 2000-1061 d'Octobre 2000 entre la République Française et la République Socialiste du Viêt-Nam. Cet article est clairement du côté de ma cliente car 'reconnaissant que, pour l'épanouissement harmonieuse de sa personnalité, l'enfant doit grandir dans un milieu familial, dans un climat de bonheur, d'amour et de compréhension.' D'après les témoignages, cela se rapporte à l'enfance de ma cliente passée auprès des personnes l'ayant adoptée de façon plénière. Par ailleurs, je ne vois rien de tout cela chez la famille légale qui ne lui a apporté que désespoir et chagrin. »
« Vous utilisez un vieil article pour menacer mes clients ? » intervient Maître Nguyen.
« Je ne menace personne. Je parle de faits et de lois contrairement à vous maîtres. » dit-elle en s'adressant aux deux avocats.
« Pour que le texte et la requête soient justifiés il faudrait la reconnaissance des deux Etats concernés : la France et le Viêt-Nam. Or, la Convention n'est ratifiée que par la France et- »
« La Convention, signée à Hanoï en 2000, reconnaît également que 'chaque Etat doit prendre par priorité, des mesures appropriée pour permettre le maintien de l'enfant dans son milieu familial'. La requête de ma cliente de revenir à ses parents est, de ce fait, tout à fait légitime au regard de la loi. Cela vous suffit-il maître ? »
« Euh, je. Eh bien. Je... »
« Je terminerai mon plaidoyer devant la cour en rappelant que la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant datant du 20 Novembre 1989, implique notamment 'ses dispositions concernant la garantie de l'intérêt supérieur de l'enfant et le respect de ses droits fondamentaux, ainsi que dans le souci de prévenir l'enlèvement, la vente et la traite d'enfants, et les profits matériels indus à l'occasion de l'adoption.' »
Maître Nguyen et Maître Dolios se lèvent en même temps et se regardent furieux. Dans mon clan, ma famille et mes amis retiennent leur souffle. Nous attendons la riposte des parties adverses.
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Le contrat
Short StoryExiste-t-il un sentiment plus fort que l'amour ? Une attache plus puissante que la famille au sein de laquelle vous avez grandi ? Lorsque trois ne forment qu'un, comment s'imaginer que ce lien puisse être rompu ? Automne, jeune adolescente rêveuse e...