Les invités s'assoient sur les fauteuils descendus du grenier pour l'occasion. Monsieur et Tan commencent à servir le champagne. J'accompagne Madame et présente l'apéritif dans les plats de convenance. Cet aspect traditionnel montrant les hommes au salon et les femmes dans la cuisine s'avère être rebutant pour beaucoup de personnes de mon entourage. Mais c'est l'essence de cette famille et si je veux continuer de passer inaperçue je dois m'y plier. En outre, cela ne me dérange pas plus que cela. Madame ouvre la marche vers le salon en portant un plateau de petits fours dans chaque main. Je la suis avec le reste en prenant garde de ne rien laisser tomber puis dépose le tout sur la table en verre.
Tan se penche pour saisir un feuilleté mais se fait immédiatement réprimander par son père. Voyant le regard d'incompréhension de Tan, un sourire narquois manque de s'afficher sur mes lèvres. Je saisis le premier plateau à ma portée et commence le service par les femmes principales puis les hommes.
« Il y a au moins quelqu'un qui connaît le protocole dans cette famille. » se moque l'un des oncles.
Tan me fusille des yeux lorsque ses parents et ses oncles me félicitent. Je le fais également envers moi-même pour avoir si bien jouer mon rôle. Je finis mon tour et m'assois sur le canapé près de la cheminée. La chaleur des flammes me rappelle les soirées d'hiver passées avec mes parents. Je suis tirée de ma rêverie par des questions des invités sur mon arrivée au sein de la famille, davantage curieux que méprisants. Leur attitude facilite mon jeu et creuse le fossé entre Tan et moi. Le sujet du lycée et des épreuves blanches de Décembre finissent par arriver. Tan manque de s'étouffer avec sa coupe de champagne et je ne suis pas loin de l'imiter. Mon frère semble avoir du mal à avouer devant toute la famille qu'aucune de ses notes ne dépasse la moyenne. Mais me concernant, il m'est aussi difficile à avouer mes mauvaises notes dans les deux matières à gros coefficients. Néanmoins, je peux compenser ces loupés par mes bons résultats dans les autres épreuves, notamment littéraires. Madame me sauve de la pression de ses frères en excusant mes faiblesses par le changement de vie auquel j'ai dû faire face. Le verre de Tan se fissure sous la force de sa poigne et je le regarde avec un sourire niais faisant mine de ne pas saisir les pensées qui lui viennent à l'esprit.
Je sens mon téléphone vibrer deux fois rapidement et je sais que c'est Léa. Quand le vibreur bouge trois fois lentement, je comprends que Camille vient de me répondre à son tour.
Il est vingt-heures trente lorsque Madame se tourne vers moi :
« Automne, ma chérie peux-tu venir m'aider à préparer les entrées ? »
« Bien sûr Madame. »
Cette réponse a fait cracher mon frère et sourire les invités attendris. Dans mon esprit, l'hypocrisie de mes paroles provoque à nouveau une remontée acide dans mon estomac mais je continue d'être ce que je dois. Je récupère donc les assiettes spéciales entrée et les amènes à Madame qui commence à servir. J'entends Monsieur proposer de passer à table. Au moment où chacun prend sa place, j'apparaîs avec les premières assiettes. Je les dispose tout en respectant le protocole de service. Après plusieurs aller-retours, je finis par me servir et le dîner commence.
Les plats s'enchaînent et j'ai du mal à garder le rythme. Je remercie l'oncle en face de moi pour le blanc qu'il vient de provoquer en questionnant Tan sur la raison l'ayant poussé à me dénoncer aux parents et à la police. L'atmosphère devient alors lourde et j'en profite pour faire une pause tout en observant la scène devant moi. Je tourne la tête vers mon frère, impatiente de voir comment il va se sortir de cette situation gênante.
« Je... Je... »
« Tu sais que tu as fait beaucoup de torts à ta sœur ? » demande l'une de mes tantes.
« Mais je... Je suis sûr qu'elle n'est pas aussi innocente qu'elle a l'air. »
« Si seulement tu savais mon frère. » me dis-je à moi-même tout en mettant mon sourire niais et triste sur mon visage.
« Peut-être qu'elle n'est pas honnête mais il faudrait aussi chercher à comprendre pourquoi elle ne l'est pas. Je ne pense qu'une personne foncièrement bonne de nature devienne un monstre de cruauté sur un coup de tête. » dit le plus jeune invité au bout de la table.
Je tourne la tête vers lui et vois qu'il me fixe de façon inopinée. Quand tous les autres autour de la table retourne à son plat, j'aperçois un clin d'œil discret de la part de mon cousin. En face de moi, Tan essaie désespérément de contrôler le sautement de sa lèvre supérieure, signe de sa colère. Je penche la tête sur le côté ce qui l'agace encore plus. Mon frère se lève d'un bond et saisit son verre. Ayant anticipé son geste impulsif, je me décale légèrement sur le côté d'un coup sec tout en continuant de découper la viande dans mon assiette. Les personnes présentes se sont arrêté choqué par l'action de Tan et par ma réaction pour éviter une douche au Chianti. Monsieur se lève à son tour et se dirige vers son fils avant de lui assigner une énorme gifle. Madame claque des doigts et pointe le liquide coulant sur le sol. Mon frère n'a d'autre choix que de nettoyer son erreur en répétant qu'il est convaincu de mes agissements.
Le cours du repas reprend dans l'ignorance de Tan qui revient à table penaud. Quand les entrées sont terminées, je propose à Madame de débarrasser. Elle hoche la tête en prenant les assiettes les plus proches. Je fais de même et fais un clin d'œil discret à Tan avant de suivre sa mère. Le même ballet se répète pour le plat principal et le dessert.
L'heure de la messe de minuit met à un terme au marathon culinaire. Nous mettons les plats dans le lave-vaisselle que Madame lance avant de nous rejoindre dehors. Monsieur conduit tout le monde à la cathédrale où nous trouvons des places assises vers le centre de la nef. Je vois que Gatien et Erin sont là eux-aussi, coincés entre les membres de leur famille. Nous échangeons un regard désespéré puis la messe débute. Les chants religieux m'endorment et je lutte pour rester éveiller. Je sais qu'il en est de même pour mes amis puisque je les vois commencer à tanguer dangereusement sur le côté.
Tan semble fouiller dans mon esprit pendant toute la messe. Je me contente de suivre les cantiques et me laisse porter par eux. Mon frère se fait encore une fois reprendre par Madame pour avoir tenté de me faire tomber de ma chaise. Je me tourne vers lui jusqu'à ce qu'il me rende mon regard. Il se sent alors pris au piège entre mes yeux où règne les flammes de la vengeance, et ceux de Gatien et d'Erin derrière lui.
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Le contrat
Short StoryExiste-t-il un sentiment plus fort que l'amour ? Une attache plus puissante que la famille au sein de laquelle vous avez grandi ? Lorsque trois ne forment qu'un, comment s'imaginer que ce lien puisse être rompu ? Automne, jeune adolescente rêveuse e...