Je tente la même opération pendant les deux semaines suivantes avec le même succès... Chaque jour où Tan sème un peu plus le doute dans mon esprit, je cherche à contacter mes parents. Finalement à bout de force et de solution, je finis par appeler Léa. Elle doit avoir des informations sur ce silence qui me poignarde le cœur. Elle décroche au bout de la quatrième sonnerie au moment où je suis sur le point d'abandonner avec elle aussi.
« Tu as des nouvelles de mes parents ? Ils ne répondent plus. Ils doivent filtrer mes appels. »
« Je n'en ai pas. Ma mère ne me dit rien et n'a pas vu la tienne depuis que tu les as quittés. »
Je lui raconte ce que Tan et ses parents me font subir. Léa semble désemparée et désespérée de l'autre côté du téléphone. Puis après un long silence gênant, elle finit par me dire ce qu'elle retient depuis le début :
« En fait, plus personne n'a de nouvelle d'eux. D'après les informations, tes parents ne sont même plus en ville. »
Mes yeux s'ouvrent en grand. Si mes oreilles pouvaient le faire aussi, je ressemblerais à Dumbo.
« Ils ont déménagé ? »
« Apparemment... »
« Pour que je ne les retrouve pas... »
Léa finit par me dire qu'elle est désolée puis raccroche en me laissant seule avec mes questions.
Ils sont partis... Sans moi...
« Je te l'avais bien dit ! »
Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir qui vient d'entrer dans ma chambre. Tan me fait sa tirade quotidienne puis ressors comme si de rien n'était. Je ne sais même pas comment il fait pour ouvrir ma porte alors que je la ferme à clé. Exaspérée par ces intrusions intempestives, je décide de déplacer la commode pour bloquer la porte.
Je m'allonge sur mon lit et prends toutes mes peluches contre moi. Glaçon est à ma droite. Cet ours polaire tout doux est la première peluche que m'a offerte maman et papa lorsque je suis arrivée en France. Mais Glaçon ne surpasse pas Caramel, mon ours brun préféré que m'a offert une amie de mamie il y a très longtemps. Je ne me souviens pas de son nom mais je me rappelle que j'ai toujours surnommé cette personne mimie souris. Actuellement, je ressers Caramel sous mon bras gauche et Minus est près de ma tête comme je l'ai toujours fait depuis que je l'ai. Dans le creux de mon cou, il y a Chat rouge et Chat rose. Je les ai appelés ainsi car ce sont deux petites peluches chats, rondes, avec un trou dans leur corps et le nez de couleur rouge et rose. Chat rouge m'accompagne depuis le début comme Glaçon. Je me souviens de la première photo de classe de mon album scolaire : la seule photo où je pose avec chat rouge. Il a été mon seul ami pendant les années de primaires où je suis restée dans mon coin, assise sur mes talons, imitant parfaitement la position favorite des Asiatiques.
Je souris aux noms que j'ai donné à mes peluches. J'ai manqué d'originalité mais je m'en moque. Ils sont à moi. J'en ai ramené deux dizaines de la maison. J'ai pratiquement plus de peluches que de vêtements mais Caramel, Glaçon, Minus, Chat rouge et Chat Rose me suivent depuis ma naissance, ce sont mes enfants et personne ne leur fera du mal. Nounours est d'ailleurs l'un de mes surnoms au collège. Je me sens en sécurité parmi mes peluches alors que dehors les attributs de la journée typique d'été resplendissent. Le chant des oiseaux me rappelle celui que j'entendais lors des étés de mon enfance dans l'appartement familial du 2ème étage. Ma chambre, orientée vers la forêt, me permet souvent de me réveiller avec le soleil et la brise fraîche. Je ferme les yeux et plonge instantanément dans mes souvenirs les plus heureux.
Je tombe lourdement sur mes fesses au milieu d'un couloir blanc et jaune clair. Je n'ai pas besoin de réfléchir pour reconnaître immédiatement le couloir du premier appartement que j'ai connu. Celui où vivaient mes parents quand je suis arrivée en France. Ce couloir est étroit et brille grâce au parquet et les poignées des placards sur le mur droit en allant vers les chambres. Il mène aux chambres et au salon télé. A son début, il y a les toilettes presque plus grandes que le cagibis où sont rangés les manteaux et les chaussures.
La musique méga ptits'loups connue arrive à mes oreilles. Je l'ai avec moi cet album aux quatre CD. Il est rangé parmi mes trésors chez Monsieur et Madame. Du bruit se fait entendre derrière moi. Je me retourne juste à temps mais n'évite pas ma propre silhouette courant sur le parquet en riant. La forme plus jeune de moi-même me percute de plein fouet et passe à travers moi comme de la fumée. Je pivote pour la suivre des yeux alors que la forme de papa me traverse à son tour. Je me souviens de ces moments. Papa me courait après sur la chanson de promenons-nous dans les bois pendant que maman essayait de baisser le volume pour ne pas embêter les voisins. Je faisais trois fois le tour de l'appartement en passant par le couloir, le salon et l'entrée. Le forme d'Isis aussi me passe à travers pendant que maman commence le repas. Je la vois verser les morceaux de soupe congelés dans une casserole puis la déposer sur le balcon. Isis s'approche très intéressée avant de renifler et de s'éloigner déçue. Maman relève la casserole en la plaçant sur ma petite chaise en bois au pieds moitié rouges et moitié bleus. Je me rappelle de cette soupe à la carotte. Je l'avais détestée... Elle avait le goût... de... de... de rien en fait.
La musique change de disque et un son familier et heureux ravive un peu plus mes souvenirs. Papa me prend dans ses bras puis tend la main vers le bouton du volume. La chanson du Soleil et de la Lune me saute aux oreilles avec bonheur. Pendant que ma silhouette est en train de rire aux éclats avec papa et maman dans le salon, je marche les quelques mètres pour me rendre dans ma chambre.
VOUS LISEZ
Le contrat
Short StoryExiste-t-il un sentiment plus fort que l'amour ? Une attache plus puissante que la famille au sein de laquelle vous avez grandi ? Lorsque trois ne forment qu'un, comment s'imaginer que ce lien puisse être rompu ? Automne, jeune adolescente rêveuse e...