Chapitre 25

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« Vous pouvez retourner les sujets. Vous avez quatre heures. »

La traditionnelle épreuve de philosophie ouvre le marathon des épreuves des terminales. Pour moi, elle s'apparente davantage à un contrôle de routine qu'à une véritable épreuve. Les vrais soucis ne commenceront réellement que demain après-midi.

Je suis répartie dans la plus grande salle du lycée et ma place se trouve vers le milieu, sur la deuxième rangée de gauche. J'observe discrètement les réactions de mes voisins ayant découvert les sujets avant de faire de même. J'aperçois sans surprise, deux sujets de dissertation et un commentaire de texte. Je cherche des yeux mon frère, assis au premier rang un peu sur ma droite. Son visage se tord de douleur et de colère. Je décide alors de regarder les trois exercices proposés et comprends immédiatement sa réaction. Le thème de cette année pour la filière scientifique n'est autre que : « le travail et la technique ».

« Merci papa. » dis-je en posant ma main sur mon cœur qui s'est resserré d'un coup.

Je lève les yeux et vois que Tan me fixe avec colère. Je lui réponds par un sourire et un hochement de tête qui n'ont guère besoin d'explication. J'entends les discrets pouffements de rires de Gatien et d'Erin derrière moi, ayant assisté à toute la scène entre mon frère et moi.

Alors que la panique rattrape mes deux voisins, je prends lentement mon stylo vert préféré et prépare mon plan sur ma feuille de brouillon. Dans un premier temps, je note rapidement toutes les citations que je possède encore dans ma mémoire vive avant de les oublier. Dans un deuxième temps, j'écris machinalement les grandes parties, puis les sous-parties. Puis, d'une autre nuance de vert, j'ajoute les arguments et enfin les exemples d'œuvres adéquates pour illustrer mes dires. Je choisis les meilleures citations d'introduction et d'ouverture pour ma conclusion.

Mes sourcils se froncent sans que je n'en sache la raison. Il me faut quelques secondes avant de me rendre compte qu'il me manque une section pour que mon plan soit un trois-trois : trois sous-parties pour trois grandes parties. Une fois cette erreur rattrapée, mon cerveau cartésien semble satisfait et décide de me laisser en paix. Je peux commencer la rédaction de l'introduction et de la conclusion. Je sais que beaucoup ne les rédigent pas mais papa m'a dit un jour qu'elles ont toutes leur importance car ce sont les lignes que le correcteur lira en premier et en dernier sur ma copie. Je suis le conseil de papa et entame enfin le corps de ma dissertation.

Les quatre heures défilent à une vitesse folle et Tan s'agite. Lorsque l'épreuve se termine, je note les numéros de page et rends ma copie avant de rejoindre Gatien et Erin sous le porche. Inévitablement, nous discutons du sujet. Je leur fais part de mon mécontentement sur une citation oubliée et allant pourtant parfaitement bien avec le sujet.

« Je ne sais pas pourquoi mais c'est comme si elle m'avait échappé d'un coup. Pourtant, « le travail rend libre » est une citation que j'aurais dû mettre dans ce sujet. »

Gatien tente de me rassurer mais un écho lointain résonne dans ma tête.

« Non tu as bien fait. Le travail rend libre est a une connotation négative car elle est inscrite sur le fronton de la porte du camps d'extermination d'Auschwitz-Birkenau. Tu as très bien fait de ne pas la mettre. »

« Oh... Papa... »

« Quoi papa ? » demande Erin.

« Ah quoi ? Non rien, je réfléchissais à voix haute. »

Les deux ne répondent pas mais restent silencieux, étudiant chaque millimètre de ma réaction.

« Demain est une autre épreuve. »

« Oui le baccalauréat scientifique commence vraiment demain. » dis-je en appréhendant.

Nous nous séparons pour retourner réviser. Je reste au CDI avant de rentrer à la maison dans la soirée. Avant le dîner et la grande discussion du soir, je prends rapidement une douche et passe un tee-shirt blanc uni et un short de sport noir décontracté car il faut déjà très chaud en ce début de mois de Juillet. En passant devant mon miroir, je constate que je ressemble beaucoup à un garçon manqué.

Je rejoins Monsieur et Madame dans le jardin pour le dîner. L'odeur du barbecue m'accompagne jusqu'à ma place. Je prends deux merguez grillées dans le plat et me sers de la purée de pomme de terre. Je ne dis rien et attends que Monsieur ou Madame lâche la bombe. Elle tombe d'un seul coup sur la tête de Tan.

« Alors cette épreuve de philosophie ? » dit Madame.

Le ton de Madame ne montre aucun sous-entendu mais paraît sincèrement curieux au contraire de son époux qui n'hésite pas à clouer son fils sur place.

« Le travail n'est-ce pas Tan ? » lâche-t-il sèchement à son fils.

Je garde les lèvres fermées et les empêche de se transformer en un sourire. Tan bredouille et sort péniblement son brouillon de sa poche pour le montrer à son père qui a déjà la main tendue.

« Automne, montre-moi le tien. »

Je sors le papier de ma poche que j'ai gardé en anticipant cette demande et le lui donne. Monsieur compare les deux plans et son expression passe alors de désespéré à colérique.

« Nous verrons. Maintenant mangeons. » crache-t-il entre dégoût et colère en nous rendant les brouillons.

« Tu as triché ! » hurle Tan dans ma direction.

« Je n'ai pas besoin de cela. Ce sont les deux seuls sujets qui ne sont pas tombés en filière scientifique depuis presque dix ans. Je te parie que l'année prochaine, les terminales auront le sujet sur l'art. »

« Tu as triché je le répète ! Tout comme pour la guerre d'Algérie l'année dernière ! »

« Une épreuve anticipée d'Histoire, l'année du cinquantième anniversaire la guerre d'Algérie... Ce n'était pas si compliqué de l'anticiper... Et si l'année prochaine, la même preuve tombe en le dix-huit Juin, il y a aura un exercice sur l'appel du Général de Gaulle. D'ailleurs, tu verras qu'ils auront la Géographie comme dominante. C'est évident. »

« Et pourquoi ? »

« Parce que nous avons eu la dominante Histoire cette année. » dis-je en soupirant blasée.

« Tu as eu de la chance. C'est tout. »

« De la chance ? Nous seulement de la réflexion. »

Monsieur et Madame ne peuvent rien dire car mes arguments sont irréfutables. Tan se mord la lèvre afin d'éviter de se prendre une remontrance de ses parents mais ne décolère pas pour autant tout comme son père.

Le soir dans mon lit, les yeux sur mon mémo de physique-chimie, je commence véritablement à stresser. Maintenant que ma matière la plus forte est passée il ne me reste que mes grosses faiblesses à l'exception de l'épreuve de langue vivante Italien.... Les coefficients plus forts ma filière ne sont pas encore passés... Je dois essayer de prendre le plus de points possibles tout en limitant les dégâts... Le constat est le même pour l'épreuve d'anglais ce qui ne m'arrange guère.

La semaine s'annonce compliquée à partir de maintenant.

Le contratOù les histoires vivent. Découvrez maintenant