Chapitre 24

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Le temps s'accélère pour tout le monde et l'été pointe le bout de son nez. La fin du lycée est proche et apporte avec elle toutes les conséquences qui lui sont liées. Les élèves de secondes s'impatientent de retrouver leur liberté pour deux mois alors que les premières et les terminales s'agitent de plus en plus. L'étau se resserre sur les dernières années pris entre la fin d'un cycle et le grand départ vers les études supérieures. Dans la cour, les conversations s'animent autour des prochains mois ou des craintes concernant les dernières épreuves.

Je suis assise sur le dossier du banc un peu en retrait dans la cour principale. Gatien est en face de moi sur le trottoir et Erin vient se placer à mes côtés après avoir grogner à cause de son pantalon beige taché par l'herbe verte fraîchement coupée. Gatien sourit en la regardant essayer de vérifier l'arrière de son jean. Personnellement, je trouve la vision de Gatien observant davantage les fesses d'Erin que son vêtement nettement plus drôle. Qui aurait cru que je me lierais d'amitié avec eux ?

Au premier abord, Erin est le cliché du mannequin. Ses cheveux châtain clair et ses yeux couleur émeraude s'harmonisent parfaitement avec sa peau pâle et délicate. Erin est l'incarnation même de l'aristocrate irlandaise : discrète, fragile, un peu bête mais sans tomber dans l'abus, légèrement princesse au petit pois et stricte sur l'étiquette. Mais cela n'est que l'image que les personnes se font souvent trop rapidement. Gatien et moi, apprécions énormément sa véritable personnalité : farouchement loyale, une intelligence redoutable et douée d'une détermination à toute épreuve. Je ne lui aurais pas confié la mission de trouver la faille pour faire tomber Madame, Monsieur, leur fils et leur avocat, si Erin n'en avait pas été digne. Camille pense qu'Erin me ressemble en tout point. En dehors du physique, l'un des principaux atouts d'Erin, je suis plutôt d'accord avec elle. Pourtant, je continue de trouver plus de ressemblance entre Erin et Léa qu'avec moi.

Gatien, quant à lui, est plus sensible. Il a longtemps été complexé par les regards des autres lycéens jouant les hommes virils mais tombant dans le machiste. Depuis que je lui ai demandé de monter le dossier de poursuite, Gatien a mûri et a appris à s'imposer et à s'accepter. Nous avons tous les trois appris à trouver une nouvelle confiance au contact des uns et des autres, et je sais que Léa et Camille ont changé elles-aussi.

« Tu aimes ce que tu vois ? » demande Erin avec un petit sourire en coin.

Gatien baisse immédiatement le regard et rougit plus qu'une tomate bien mûre.

« Je-Je vérifiais que tu n'avais plus d'herbe sur toi. » bégaie-il, faisant rire Erin et moi.

Je change rapidement de sujet pour dissiper le malaise qui vient de s'installer.

« Avez-vous des nouvelles des isotopes ? »

Mes deux amis prennent la conversation sans hésiter et se mettent à m'énoncer tous les éléments chimiques du tableau de Mendeleïev. Tous les trois avons dû créer un code plus complexe pour pouvoir échanger sur nos recherches le jour où Tan a failli faire éclater la vérité. Depuis les fêtes de fin d'année, mon frère se montre cruel mais je garde un coup d'avance sur lui.

Grâce à la force de caractère de Léa, j'ai appris que quelqu'un ou quelque chose bloque toute nouvelle de mes parents et les tient par le chantage. Cette nouvelle a manqué de peu de faire sauter ma couverture de fille parfaite. Désormais majeure, je peux maintenant tout faire légalement. Gatien a engagé un ancien ami de son père comme détective privé et lui a demandé d'aider Camille. Pendant qu'il travaille, nous pouvons nous concentrer sur les cours.

C'est la veille des épreuves. Je suis assise à mon bureau. Ma fenêtre est ouverte et le soleil couchant pénètre timidement dans ma chambre. La plume de stylo est suspendue au-dessus de la page de cahier ouvert devant moi. Je me suis une fois de plus perdue dans mes pensées vers papa et maman. Je ne sais pas s'ils pensent aussi à moi pour demain ou s'ils sont trop préoccupés par leur sort actuel. Je finirai par avoir le fin mot de cette histoire, quitte à faire éclater un scandale.

Madame frappe à ma porte et me demande de descendre dîner. Je soupire et rebouche mon stylo avant de rejoindre Monsieur et Tan déjà assis. Monsieur nous demande si nous sommes prêts bien que je sache que sa question s'adressait davantage à son fils qu'à moi.

« Bof. » rétorque Tan peu convaincant.

« Et toi Automne ? » ajoute Madame en servant la salade.

« Oh moi je pense que cela ira. J'ai surtout révisé les chapitres sur l'art et sur le travail. »

« Aucune chance que le sujet soit exactement porté sur l'un de ses deux thèmes. » se moquent mon frère et Monsieur en riant.

« Je suis d'accord. C'est très risqué de n'avoir révisé que deux chapitres. De plus, ce ne sont pas les plus courants ou les simples. »

« Il n'y a rien de plus facile que ces thèmes. De toute façon, je trouve que tous les thèmes de philosophie sont assez simples mais peut-être que j'ai un esprit suffisamment ouvert pour comprendre cette matière. » dis-je en dissimulant toute mon amertume envers Tan.

« Que veux-tu dire ? Tu penses que je ne suis pas capable de comprendre cette matière qui ne me servira à rien. »

« Si tu penses que la philosophie ne sert à rien dans la vie alors tu n'as clairement rien compris de cette science. » dis-je en haussant les épaules.

« Je l'ai mieux comprise que toi en tout cas. »

« Au vu de nos moyennes respectives, je ne pense pas. »

Tan prend un moment pour chercher un argument. Les notes parlent d'elles-mêmes et pour moi. Les miennes trônent à plus de dix-sept sur vingt à plus de dix points de celles de mon frère.

« Nous verrons bien demain quels sujets sortiront. »

« Ce ne sera ni l'art ni le travail. »

« Si tu le dis. »

Mon frère tente alors de dévier le sujet sur les épreuves de mathématiques et de physiques-chimie en sachant que ce sont mes points faibles en dehors des langues vivantes. Contrairement à lui, je ne suis pas assez folle pour m'engager sur un terrain sur lequel je suis sûre de perdre.

« Et vos épreuves d'options ? » s'interpose Madame une fois encore.

« Quelles options ? » grimace Tan.

« Elles sont passées la semaine dernière. Je pense que l'Histoire-Géographie n'a pas été difficile et le Latin non plus. Mais je préfère attendre les notes pour être sûre. »

« Quels sujets as-tu eu ? » me demande Monsieur très curieux d'en savoir plus.

« En Histoire, j'ai eu la conquête de l'espace par l'Homme et en Latin je suis tombée sur un extrait des Lettres à Ménécée, d'Epicure. »

« N'était-ce pas ton œuvre préférée du programme ? »

« Si. Et elle m'a porté chance apparemment. »

En face de moi, Tan semble vouloir disparaître lorsque son père le fusille du regard pour avoir été trop fainéant pour prendre une option quand moi, j'en ai pris deux. Je prends pitié de lui et tente de mettre un terme à cette conversation gênante bien que cela me plaise de le voir en mauvaise posture.

« De toute façon, rien n'est joué. Les gros coefficients ne sont pas encore tombés alors attendons avant de juger. »

« Il y a au moins quelqu'un dans cette famille qui a la tête sur les épaules et qui s'en sert pour faire de bonnes actions. » dit Madame.

Tan, Monsieur et moi tournons instantanément la tête vers elle. Les expressions complètement choquées sur nos visages parlent pour nous.

« Venant de vous, cela ne manque pas d'intérêt. » me dis-je à moi-même.

Madame ne semble pas s'en rendre compte et se lève pour aller chercher la suite du dîner. Celui-ci se termine au grès de divers sujets tels que la météo ou les études supérieures. Quand le dîner se termine et que tout est débarrassé, Tan allume son jeu vidéo alors que je monte réviser encore un peu avant de m'endormir. Mes pensées accompagnent mon sommeil en alternant entre les épreuves et papa et maman. J'espère que je les rendrai fiers.

Le contratOù les histoires vivent. Découvrez maintenant