C'est le jour J.
Cet après-midi aura lieu le procès. Je suis allée en cours ce matin et je quitterai le lycée après la pause déjeuner. L'étau autour de ma gorge se resserre autant que les attaques publiques. Je ne peux me concentrer sur ce que dit mon professeur d'Histoire. Heureusement, j'ai toujours eu plus de facilités dans cette matière que dans n'importe quelle autre et le chapitre que nous étudions est l'un des plus faciles à analyser. Je n'ai donc pas besoin de faire de gros effort pour réussir les exercices de préparation au baccalauréat de Juin. En revanche, le cours de physique-chimie a été plus... Compliqué... Les isotopes en R ou S, les éléments utiles lors des titrages et les matières organiques créées à partir de tel ou tel ratio de carbone et d'oxygène m'ont achevée.
Grâce ou à cause des journaux quotidiens tout le corps enseignant est au courant des événements. Ils savent qu'aujourd'hui est un jour crucial pour moi donc aucun de mes deux professeurs ne m'a fait de remarque. Ils m'ont laissée tranquille dans mon coin, le nez collé à la fenêtre. A mes pieds se trouvent des exemplaires du journal feuilleton créé à mon insu par mes détracteurs. Ils sont signés « anonyme » mais j'ai tout à fait conscience de qui est derrière cela. Même le nom du journal est sans équivoque « L'adoptée ». J'ai perdu la foi en l'humanité.
Quinze minutes avant midi, ma professeure prend pitié de moi et m'autorise à sortir de cours. Je ramasse mes cahiers et mes livres puis sors de la salle sous les regards effrayés ou impatients de membres de ma classe. Je ne m'attends pas à sortir aussi tôt mais dès que je mets le pied dans le couloir je comprends. Les couloirs sont déserts : les classes ayant terminées à onze heures trente sont déjà parties déjeuner et celles finissant à midi ne sont pas encore sorties. C'est donc pour m'épargner le chemin sous les regards déplacés et les sourires machiavéliques que ma professeure m'a autorisée à partir à cette heure-ci.
« Ok. Merci. » dis-je pour moi-même un peu blasée mais reconnaissante.
Sur le chemin de la sortie du lycée, je croise ma professeure préférée qui me prend dans ses bras. Aucun mot n'est dit mais tout le message est passé. Elle finit par me lâcher et me fait un signe de tête. Je me retourne et aperçois Camille et Léa se diriger vers moi. Se précipiter serait le bon terme. Leur cours ne sont pas encore finis mais elles ont dû être autorisées à sortir plus tôt aussi. Les deux me sautent au cou et m'enlacent aussi fort qu'elles peuvent. Je tente de dédramatiser la situation en leur disant que je reviendrai mais elles ne semblent pas convaincue. Moi non plus. Je m'éloigne d'elles et rejoins maman qui m'attend un peu à l'écart. Léa s'affole complètement tandis que je lance à Camille un regard dont elle comprend le sens.
Je marche avec maman vers le tribunal de justice où s'impatiente nerveusement papa. Sur le parvis, je vois la femme qui se dit être ma mère légale. A côté d'elle, se trouve son mari et Tan qui me fusille du regard. Mes soi-disant parents me sourient un peu trop affectueusement à mon goût. Pour leur répondre, je saute dans les bras de papa qui saisit mon intention et rentre immédiatement dans mon jeu. Maman l'imite quelques secondes plus tard.
Les lumières des flashs des médias se réfléchissent immédiatement sur la pierre blanche du tribunal. Un journaliste s'approche un peu trop de près de moi dans mon dos pour immortaliser le moment. Je ne peux m'empêcher d'imaginer le titre de cette image « Le dernier câlin d'adieu » ou « Les déchirantes séparations ». Je ne résiste pas et me retourne en une fraction de seconde, faisant voler au passage l'appareil photo du journaliste imprudent. Les autres derrière lui reculent par peur. Papa me saisit par la poignée de mon sac et me traîne à l'intérieur du tribunal. Sous la voute immense nous attendent deux hommes en costume munis de leur robe de justice. L'un d'eux s'avance vers nous et me tend la main.
« Bonjour, je me présente. Je suis maître Sarageon. L'avocat de votre famille. »
Je serre sa main qui tremble. Notre avocat ne m'inspire guère confiance. C'est un homme de petite taille brun, plus petit que papa, joufflu, aux yeux gris et qui semble avoir débuté sa carrière hier. Il me sort une petite tirade sur le droit familial avant que maman ne lui fasse remarquer qu'il a oublié sa pochette professionnelle. Il nous quitte un instant pour la chercher dans le vestiaire de la défense.
« Quel boulet ! » murmure papa entre ses dents me faisant rire.
Pendant ce temps, le second avocat s'approche de nous. Je suppose qu'il est juste poli mais le fait qu'il défende l'autre partie m'exaspère au plus haut point. De plus, je connais les personnes ayant son apparence. Cet homme que je ne connais pas, cet homme de grande taille à la silhouette tonique et parfaitement taillée, au sourire enjôleur et à l'assurance à toute épreuve... Je les connais ces beaux-parleurs redoutables, capables de charmer n'importe quel auditoire.
« Bonjour à vous trois. Je me dois de me présenter également. Je suis maître Dolios, l'avocat de Monsieur et Madame. Vos parents. » dit-il en s'adressant directement à moi.
A ces derniers mots, un grognement mot lourd s'échappe de ma gorge. Papa et maman bondissent de choc face à ma réaction n'ayant jamais entendu cela de ma part. L'avocat se contente de sourire tout en passant sa main dans ses cheveux châtains. Ses yeux verts reflètent la fierté de l'effet de ses paroles sur moi. Les femmes passant à côté de nous se retournent instantanément sur lui.
« Je le savais. »
Maître Dolios se penche à mon niveau et clame haut et fort qu'il est ici pour que justice soit faite et que je revienne auprès de ses clients. Derrière lui, ma mère légale me sourit gentiment :
« Tu vas bientôt rentrer à la maison, ma chérie. » dit-elle doucement en tendant sa main vers moi.
Je frappe dedans et recule instinctivement. Je me blottis entre papa et maman en grognant comme un animal se sentant en danger, ce que je suis réellement. Au bout de plusieurs minutes, notre petit duel de regard s'interrompt avec le retour de notre avocat. Papa, maman et moi nous échangeons une pensée unique :
« Tout ce temps pour trouver une pochette ? »
Je compare les deux avocats et à côté de maître Dolios, le nôtre n'a aucun charisme. Je me demande où mes parents l'ont trouvé. Je veux lui laisser une chance mais cette idée me donne une expression d'aversion.
L'audience va débuter. Toutes les parties concernées se rendent dans la salle de justice devancées par les avocats. Maître Sarageon trébuche sur une marche imaginaire et s'écroule devant le président. Moi aussi je suis capable de trébucher sur rien du tout mais le moment est mal choisi pour celui qui est censé nous défendre. Je claque ma main sur mon front totalement désemparée face à une telle maladresse dans un instant pareil.
En outre, maman et moi remarquons la même chose au même moment : les jurées sont majoritairement des femmes. Nous comprenons que cela sera un élément majeur dans le rendu de la délibération.
Les deux avocats sont appelés à se lever et à prêter serment de ne vouer leurs paroles qu'à la justice et à la vérité dans cette affaire. Ils sont également invités à énoncer le texte éthique de l'Ordre des avocats. J'ai pris soin de l'imprimer auparavant et je sais que papa aussi. Maître Dolios débite des paroles n'ayant rien à voir avec le texte d'origine alors que Maître Sarageon le recite mot pour mot avec une voix saccadée. La différence est flagrante pour toutes personnes pourvues de bon sens : l'un connaît les lois et les codes mais n'est absolument pas un orateur tandis que l'autre ne maîtrise rien du droit et dissimule ce manque par sa prestance. Ma théorie est fondée car sous le regard étonné des jurés et du président d'une telle faute, Maître Dolios n'a eu qu'à sourire pour que tout doute soit dissipé auprès des jurés. A côté de moi, maman a un relent de dégoût.
Maître Dolios entame son argumentaire. Maman me regarde paniquée. Une seule phrase me vient à l'esprit :
« Je ne suis pas sortie de la rizière. »
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Le contrat
Short StoryExiste-t-il un sentiment plus fort que l'amour ? Une attache plus puissante que la famille au sein de laquelle vous avez grandi ? Lorsque trois ne forment qu'un, comment s'imaginer que ce lien puisse être rompu ? Automne, jeune adolescente rêveuse e...