CHAPITRE ONZE

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En voyant ses yeux se plisser et l'esquisse d'un sourire, elle sut qu'il se retenait de rire, mais son estomac rempli, le chanvre et la bière la retinrent de s'emporter. Lui aussi poussa finalement un long soupir, hésita en regardant sa clope qu'il allait devoir jeter puis regarda Tranit en hochant gravement de la tête.

— Si j'étais dans ta situation, je me sentirais aussi perdu, rétif même que tu l'es. Et crois-moi, je suis sans doute la seule personne au monde à pouvoir te comprendre.

Devant l'air sérieux de Tranit, il ajouta.

— Moi, c'est pas une statue me ressemblant que je découvre ! Non, c'est un monde complètement différent du mien et dont je suis incapable de m'échapper. Et ça fait bien cinq ans que ça dure. Alors je cherche, j'essaye de comprendre... ce qui pour l'instant ne m'a mené à rien !

Mais il s'interrompit, sourit et pointa le doigt vers Tranit.

— On en reparlera une autre fois. Là, c'est pour toi. Je pense qu'en essayant de comprendre ton problème, on arrivera quelque part.

Malgré l'air dubitatif de Tranit, il poursuivit en se redressant pour prendre quelque chose dans leur véhicule. Un cahier comme ceux qu'utilisait Suwane, sauf qu'il était un peu plus épais.

— J'aurais aimé limiter le nombre de personnes pouvant voir cette statue, ce qui a été possible tant que les portes étaient fermées. Seulement soixante-trois avaient eu ce privilège, dont près de quarante te connaissant. Mais depuis l'ouverture, j'ai arrêté de compter, on doit être à près de deux mille.

Tranit eut du mal à cacher sa gêne et leva les yeux vers le plafond. Si seulement elle s'était abstenue de faire quoi que ce soit. Si elle avait demandé à Suwane d'attendre un jour de plus avant de l'amener ici.

Puis elle réalisa que c'était ridicule. Elle aurait fait la même chose. Erwan lui montra une page du cahier recouverte de son écriture, elle la reconnaissait bien maintenant.

— Dès que nous avons eu l'accès à cette salle, la question s'est posée de savoir si c'était toi ou pas. Alors avec Adacie j'ai fait rechercher toutes les personnes te connaissant bien. Je veux dire des gens d'avant ton arrivée chez nous. Tu as amené pas mal de gens d'Outre-berge au Barcus et tous ont été formels. Beaucoup ont été impressionnés, choqués même pour certains, mais c'était toi qu'ils reconnaissaient dans cette statue. Alors, on a cherché ailleurs, dans l'armée de Rowèn, des gens te connaissant aussi depuis longtemps.

Et Tranit voyait déjà quelle réponse Erwan allait lui apporter. Il fit signe que oui lorsqu'elle l'interrogea sans rien dire, mais il leva le doigt.

— Mais d'abord, parmi mes gens, j'en ai trouvé deux qui te connaissaient depuis ton enfance.

— Ah ? dit finalement Tranit. Je me souviens de Lièl, que j'ai revu lors de la visite de Cydrac à notre campement.

— C'est bien ça, confirma Erwan. Enseigne Lièl. Enfin, il va passer lieutenant à la fin du mois. Lui aussi affirme que c'est toi, mais il a été le premier à dire combien ta sœur te ressemblait. Et puis j'ai aussi une Lura, affectée au 805e bataillon.

Tranit se creusa la tête, ce prénom ne lui était pas inconnu, mais cela remontait à loin. Très loin même.

— Il y a quelque chose en rapport avec Lièl, mais c'était il y a vraiment longtemps.

Erwan confirma de nouveau d'un petit signe de tête.

— Une dizaine d'années, effectivement. Mais elle a confirmé que c'était toi. Et c'est elle qui s'est rappelé que vos oreilles sont un peu différentes. Celle-ci, fit-il en montrant la tête perchée vingt toises plus haut, a les mêmes oreilles que toi. Les lobes de ta sœur sont différents.

Les larmes de Tranit - 8 & 9Où les histoires vivent. Découvrez maintenant