Prologue

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Un bruissement.
Une ombre.

Et une fuite.

Un pelage anonyme se plongea dans l'eau froide. Il nagea jusqu'à la rive dans un discret bruit de clapotis, et un félin émergea hors de l'eau, déterminé, sous le clair de lune. Il s'ébroua activement pour chasser le froid qui s'insinuait sous son pelage trempé.

La lueur d'inquiétude qui brillait dans les yeux de Croc de Bourgeon ne s'éteignît pas immédiatement. Il lui fallut d'abord un pas, puis un autre. Chaque foulée l'éloignant de l'île maudite lui procurait une bouffée de soulagement.
Il se retourna, contemplant la clairière dénuée du Saule qui l'habitait auparavant. Le camp silencieux des Refusés était éclairé par la lumière blanche de la lune. Même si les guerriers de la Grotte, qui s'étaient renommés « Clan du Saule » n'avaient besoin de dormir, ils aimaient se reposer lorsque le soleil quittait la voûte céleste. Ils s'abandonnaient à leurs dures obligations de la journée, ils retrouvaient un peu de leur raison, et perdaient un peu de ce qui faisait d'eux des montres.

Et cette nuit la, ils perdaient aussi un chat dans leur rang.
Un chat brisé par leur cruauté, un chat qui n'avait pas réussi à s'accommoder à leurs terrifiantes manières de penser.

À cause d'eux, Croc de Bourgeon avait commis l'acte impardonnable : il avait tué de sang froid.

Les chats des clans tuaient, parfois.

Durant les guerres.
Durant les batailles.
Pour leurs territoires et leur honneur.

Pas pour ça.
Pas pour une vengeance puérile dont la quête était menée par un inconscient.

Plume de Lierre et Nuage de Dorure.

Deux noms gravés à jamais dans l'esprit de Croc de Bourgeon. Des noms qu'il avait gravés lui-même dans sa mémoire, avec ses propres griffes.

Il se détourna finalement de l'île de la torture. De ce camp du mal, de ces chats du démons.
Il refusait d'être de leur côté.
Il refusait les Refusés.

Il préférait être le prisonnier des chats des clans que l'allié des monstres de la Grotte.
Le Clan du Cratère en échange de celui du Saule.

Il effectua donc l'évasion à laquelle il aspirait tant ; il s'enfuit dans un dernier bruissement, ombre parmi les ombres.
Le clapotis du bassin du Saule se fit lointain.

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— Tu n'envoies personne, Coeur de Pétale ?

— Pour quoi faire ?, refusa le chef. Pour rattraper ce traître qui ne veut plus être de notre côté ?

Fièvre Rugissante haussa les épaules.

— Il sait des choses sur nous.

— Rien qui ne nous compromettra.

Coeur de Pétale fixa silencieusement la tache féline qui disparaissait parmi la prairie tournoyante calcinée. Trois lunes s'étaient écoulées depuis l'incendie, et des pousses vertes jonchaient un peu partout le territoire charbonneux.

— J'aurais dû écouter Petit Hibiscus, et abattre ce sale traître, grommela le tigré.

Du haut de son promontoire, il regarda une dernière fois l'horizon.

— Tu ne vas vraiment rien faire pour la fuite de Croc de Bourgeon ?, répéta Fièvre Rugissante dans un flegme qui cachait de l'étonnement.

Le lieutenant, un peu en retrait par rapport à son chef, se faisait les griffes sur la pierre.

— Si.

— Quoi ?, demanda le roux.

— Je vais faire comme d'habitude..., exposa l'autre. Me venger.


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Les Racines du Saule ~5. Le Saule~Où les histoires vivent. Découvrez maintenant