Épilogue

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Elle scruta le Grand Cratère. La prairie verte ondulant sous les vents. La forêt exposant ses arbres aux feuilles de jade. Les rochers immortels, empilés harmonieusement. La plaine qui avait récupéré ses droits sur les marécages.

Une bouffée de nostalgie s'empara de son cœur un instant. Elle songea à tout le chemin qu'elle avait parcouru. Elle ferma ses yeux violets et les rouvrit.

— On y va ?, demanda-t-elle à Éclair de Griffe.

— On y retourne, tu veux dire ?

Elle aurait voulu sourire mais l'anxiété l'en empêchait. Elle repensa au Cratère décimé qu'elle avait quitté et à celui flamboyant qu'elle retrouvait.

— Je vais réveiller Nuage Enflammé.

— D'accord.

Son regard fut de nouveau aimanté par le paysage magnifique que les territoires des clans lui offraient.

Nuage Enflammé arriva bientôt à la suite de son père.
Tempête de Calme lui sourit, elle avait hâte de lui faire découvrir ce monde qu'elle avait tant aimé.

Et comme pour lui rappeler d'où elle venait, un voile blanc familier lui recouvrit les yeux.

><~•••~><

— Tu y vas déjà ?

Poussière de l'Aube posa affectueusement sa truffe sur le front de sa compagne.

— Oui, Pelage d'Averse m'a prévenu qu'une patrouille avait aperçu des félins au-dessus du territoire tournoyant. Il doit s'agir de simples voyageurs, mais j'aimerais quand même vérifier qu'il ne s'agit pas d'une menace.

— Très bien.

Patte de Tige observa son partenaire s'en aller en réalisant que dans quelques lunes il serait trop fatigué pour continuer son travail de chef. Elle se leva à son tour, et sortit du camp. Elle traversa la forêt tournoyante en esquivant ronces et fourrés. Elle fila à travers la plaine ondoyante en sentant le vent lui fouetter le visage. Et elle arriva enfin dans la prairie. Dans sa prairie.

Elle aurait tant voulu que le campement du Cratère s'y soit établi. Mais non, à l'époque, les hautes herbes aux senteurs fraîches étaient toujours carbonisées et n'avaient pas encore repoussées. Elle marcha doucement à travers les plantes d'un vert éclatant, s'imprégnant du mieux qu'elle pouvait des souvenirs et des émotions que cette sensation lui procurait. La terre douce et les herbes qui lui effleuraient le pelage. Les odeurs de coquelicots, de pissenlit et de mulot. Les tâches vertes, roses et jaunes qui dansaient devant ses yeux.

Elle revenait souvent ici, quand elle voulait se rappeler comment la vie était avant le cataclysme. Quand elle voulait se rappeler de l'odeur de Mistral ou du rire de Pupille d'Anis. De Vent d'Azur quand il n'était pas encore un chat traumatisé par sa séquestration chez les Refusés. De Prunelle de Saule quand il n'était pas un guerrier effacé qui se sentait toujours de trop.

Bien sûr, le temps avait pansé certaines plaies. Mais elle savait que Vent d'Azur - son Petit Azur à elle - faisait toujours des cauchemars certaine nuit. Que Prunelle de Saule se taisait comme si son frère pouvait disparaître à tout instant. Et qu'elle-même fixait parfois l'horizon dans l'espoir d'y voir apparaître deux femelles écailles de tortue.

Après avoir erré un moment dans la prairie, Patte de Tige emprunta le chemin qui menait à l'île du Saule.

Un bruissement.
Une ombre.

Et une approche.

Son corps brun clair se plongea dans l'eau froide, nagea jusqu'à la rive dans un discret bruit de clapotis, et elle émergea hors de l'eau, déterminée, sous le clair de lune. Elle s'ébroua activement pour chasser le froid qui s'insinuait sous son pelage trempé et rentra pleinement sur l'île. Fidèle à ses habitudes et surtout à sa promesse, Patte de Tige se faufila jusqu'à Coeur de Pétale. Elle s'installa en face de lui et de son corps d'émeraude. En trente lunes, il n'avait pas bougé une seule fois.

— Je suis là, Azur...

Et Patte de Tige vécut heureuse, sans plus jamais d'ennuis se profilant à l'horizon.
C'est la fin d'une très belle histoire.


« Ah, et Coeur de Pétale ? Je crois que je te pardonne... »


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Les Racines du Saule ~5. Le Saule~Où les histoires vivent. Découvrez maintenant