Chapitre 23

54 8 59
                                    

Il y avait des personnes qu'aucune cérémonie funèbre ne pouvait effacer.
Pupille d'Anis en faisait partie. Mistral aussi.
Et Patte de Tige n'aurait plus la bêtise d'ignorer cette vérité.
Elle n'aurait plus la sottise d'espérer qu'un jour la douleur s'atténue.

Malgré tous ses efforts, ses pensées revenaient toujours au même tourment, comme aimantées au décès de Pupille d'Anis.
Patte de Tige ne savait même pas pourquoi est-ce qu'elle était partie. Elle avait fui le campement du Cratère comme si cela changerait quelque chose, mais c'était juste idiot. Elle regrettait depuis d'avoir loupé les funérailles de sa meilleure amie.
Pupille d'Anis ne lui aurait jamais fait ça, si les situations avaient été inversées.

Pupille d'Anis ne se serait pas effondrée - elle ne s'effondrait jamais -. Être heureux est une force, pouvoir prétendre l'être encore plus. Pupille d'Anis aurait été capable de vivre sans Patte de Tige, mais l'inverse était impossible.
L'avaient-ils enterrée ? La cérémonie funèbre s'était-elle correctement déroulée ? Le discours lui avait-il rendu honneur ? Son corps avait-il été mis en valeur ?
Pupille d'Anis aurait détesté ressembler à un cadavre - même si elle en était désormais un -.

Patte de Tige s'écroula contre un tronc d'arbre couché. Une mousse verte en recouvrait l'écorce, et elle la caressa du bout des coussinets.
Depuis leur vraie première rencontre, ce jour où Pupille d'Anis (encore apprentie) avait demandé à sa camarade de partager un campagnol, elles s'étaient adoptées. Patte de Tige avait trouvé en l'amusante et énergique nocive le soutien émotionnel qu'elle nécessitait. Et depuis, elle n'avait cessé d'avoir besoin d'elle.

La guerrière stoppa sa contemplation de la mousse. Du coin de l'œil, elle aperçut un campagnol, qu'elle attrapa. Une fois l'animal échoué entre ses griffes, elle le fixa avec détresse, comme si c'était elle, la proie abattue par les crocs tranchants du prédateur.

Sauf que ce n'était pas elle la morte. Pourtant, ironiquement, Patte de Tige était la seule des deux à souffrir.
Elle jeta le campagnol au loin, sans pouvoir éviter le flot de douloureux souvenirs qu'il fit remonter à la surface. De toute manière, ce n'était pas comme si elle aurait pu le manger - la guerrière n'avait rien avalé depuis le jour fatidique, c'est à peine si elle avait bu - .

Par conséquent, elle n'avait plus beaucoup de force. Elle se contentait de se traîner à travers le territoire du Cratère, en subissant cette souffrance, en ignorant les cris de son esprit qui lui rappelait que des enfants et un conjoint l'attendaient au camp.
Le cataclysme, Étoile de Lichen, Mistral, et maintenant Pupille d'Anis. N'avait-elle pas le droit à une pause dans ses malheurs ?

Patte de Tige se traîna jusqu'à la Saillie. C'était leur petit coin à elles. Son petit coin à elle, désormais.

Elle fixa longuement la vue. Le Grand Cratère. Les images auxquelles il faisait écho.

— Tu es là.

Silence.

— ... Ça t'étonne ?

Le voir rendait la chose plus réelle.

— Non. Je me demande juste comment les patrouilles qui t'ont cherchée ont fait pour ne pas te trouver.

— Des patrouilles m'ont cherchée ? Je ne les ai pas croisés.

— Ce sont des incompétents.

Poussière de l'Aube s'assit à côté de Patte de Tige sans la regarder.

— Nous aussi, nous sommes incompétents, réalisa-t-elle.

— Mmmh...

Il souffla.

Les Racines du Saule ~5. Le Saule~Où les histoires vivent. Découvrez maintenant