CHAPITRE 2

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Welcome to Houston !


L'avant-veille - cela lui semblait une éternité - elle était en train de travailler sur son mémoire de thèse de doctorat dans la quiétude de son bureau, quand la standardiste lui avait passé une communication en provenance des États-Unis. Une voix qui s'exprimait en français - celle de ce Levesque, elle le savait maintenant - l'avait informée sans préambule que les dirigeants des entreprises Conyngham souhaitaient la rencontrer dans les meilleurs délais au siège de la société, à Houston, Texas.

Croyant à un canular, mi agacée, mi amusée, elle avait répondu sur un ton badin, jusqu'à ce que son correspondant fût parvenu à la convaincre que son appel était on ne peut plus sérieux. Elle n'avait alors pas manqué de poser des questions, et de soulever des objections. Pourquoi cette invitation impromptue ? On ne pouvait le lui exposer par téléphone, lui fut-il poliment mais fermement répondu. Mais elle ne saurait s'absenter sans l'accord du Laboratoire des Sciences de la Terre de l'Université d'Aix-Marseille, accord qu'elle n'était pas sûre d'obtenir et qui prendrait, dans le meilleur des cas, du temps, avait-elle ajouté. Au demeurant enfin, l'état de ses finances ne lui permettait aucunement d'envisager un tel déplacement.

Tous ses arguments avaient été balayés tels fétus de paille par le cyclone texan : le président du centre de recherches et son directeur de thèse, le professeur Bourdaloue, avaient déjà donné leurs feux verts. Quant à son voyage et son séjour, ils lui étaient offerts, bien entendu, et elle percevrait en sus une généreuse indemnité. Levesque avait énoncé un montant en dollars qui l'avait laissée momentanément sans voix. Avec une somme pareille, elle pourrait terminer de payer en une fois les traites de sa Twingo d'occasion.

À demi-convaincue, et tentée en tout état de cause, elle demanda toutefois un délai de réflexion, le temps pour elle de s'entretenir avec le professeur Bourdaloue. Elle était curieuse d'apprendre quels arguments avaient pu convaincre le peu accommodant universitaire de laisser filer son étudiante préférée, à l'approche de sa soutenance de thèse qui plus était.

Elle en fut pour ses frais. D'humeur encore plus bourrue et bilieuse qu'à l'accoutumée, le professeur était lui-même sur le point de partir pour un congrès de géophysique à Stockholm, et maugréait à la perspective de devoir affronter le climat boréal : méridional pur et dur, pour lui les contrées hostiles du Grand Nord débutaient dès le robinet de Donzère. Il avait néanmoins accordé quelques minutes à son élève. Il venait de recevoir, lui apprit-il en rassemblant ses dossiers, un appel d'un de ses collègues de la NASA. L'agence spatiale américaine, basée à Houston, possédait un département de géologie, qui étudiait les échantillons de roche ramenés de la Lune, et effectuait les analyses spectrographiques des sols des planètes où s'étaient posées des sondes. Ainsi que les fragments de météorites qui avaient l'obligeance de venir s'écraser sur la Terre. Le professeur Rohmer avait demandé à son homologue de lui faire confiance et de laisser Claire s'absenter pour quelques jours, se portant personnellement garant de l'honorabilité des intentions de la grande société pétrolière.

Ceci étant, pourquoi Bourdaloue avait-il accepté si aisément ? Lui, le mauvais coucheur notoire ? Sans doute lui était-il difficile de dire non à un prix Nobel de physique, qui gérait en outre un budget au moins vingt fois supérieur à celui de leur modeste centre de recherche. Budget dont des miettes substantielles venaient parfois s'égarer jusqu'à Sophia Antipolis. Le moment était peut-être venu de renvoyer l'ascenseur. Le professeur tint néanmoins à la mettre en garde, de sa voix de basse profonde.

- Méfiez-vous, Massari. J'ignore ce que vous veulent ces Américains, mais ce n'est bien évidemment pas désintéressé. Vous savez comment fonctionne la recherche aux États-Unis : elle est financée par les entreprises, ce qui lui permet de bénéficier de crédits cent fois plus importants qu'ici. Et de plus, ils se permettent de venir débaucher en Europe et en Asie les meilleurs cerveaux. C'est pourquoi je ne suis guère tranquille de vous voir partir. Oui, ce n'est pas la peine de prendre cet air modeste qui ne vous sied guère ! Quoi que ce soit que l'on vous propose, mon petit, n'oubliez pas que vous avez votre mémoire à terminer, et que votre place est ici, en France. Je peux compter sur vous, n'est-ce pas ? avait-il conclu, lui prenant les mains dans une manifestation de sentimentalisme assez inhabituelle.

Opération HadèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant