Chapitre 54

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CHAPITRE 54

L'histoire du professeur Nguyen

Le chauffeur qui l'attendait était un jeune Amérindien au visage marqué de tatouages rituels, le premier que Claire rencontrait depuis son arrivée en Guyane, qui ne sortait de son mutisme maussade que pour annoncer les noms des différents bâtiments qu'ils longeaient. C'est ainsi qu'elle put apercevoir le site de lancement d'Ariane 5, brillamment illuminé et encadré par ses pylônes anti-foudre. Le nouveau site dédié à Soyouz était encore plus loin, presque à l'autre extrémité du Centre, à proximité du bourg de Sinnamary, et il leur fallut près de vingt minutes pour y parvenir. Elle était la seule passagère du minibus.

Ils arrivèrent enfin devant l'impressionnant bâtiment d'assemblage final, le BAF, où se déroulaient les ultimes phases préalables au lancement proprement dit. Elle eut la surprise d'y retrouver M. Verdier, qui les avait accueillis le soir de leur arrivée, et qui s'enquit de ses nouvelles, et de la manière dont se déroulait son travail avec les Chinois. Elle le rassura totalement, ne doutant pas qu'il rendrait compte plus tard à Paris. Après avoir enfilé les indispensables tenues de protection, ils pénétrèrent dans le hall imposant, et elle eut enfin sa première vision de la fusée Soyouz, que les quatre propulseurs qui l'enserraient à la taille comme une sorte de jupe faisaient paraître trapue, en dépit de ses quarante-neuf mètres de hauteur. Elle avait été amenée, elle aussi, la veille, depuis le BIL, le bâtiment d'intégration des lanceurs. Le spectacle était impressionnant, et elle avait le cœur qui battait un peu plus vite qu'à l'accoutumée. Chacun des propulseurs latéraux qui, dans quelques jours, allait développer une poussée de cent deux tonnes pour arracher la fusée à la pesanteur terrestre était plus long qu'un autobus.

Dès qu'il l'aperçut, le professeur Nguyen quitta le groupe de compatriotes avec lesquels il était en train de converser et l'accueillit avec toutes les marques de l'amitié.

- Claire ! Vous avez eu le temps de boire un café ? Non ? Il y en a ici, mais il faut repasser par le sas, se déshabiller, recommencer dans l'autre sens. Si ça vous tente ?

- Plus tard peut-être, Trinh, merci. C'est vrai que ça a l'air un peu compliqué.

La matinée s'écoula lentement, et fut moins passionnante que ce qu'elle avait imaginé. Chaque étape de l'opération qui consistait à placer la coiffe, contenant le satellite, à l'extrémité de la fusée, prenait un temps infini et donnait lieu à une multitude de tests et de vérifications minutieuses qui, pour la simple spectatrice qu'elle était, ne présentaient à la longue guère d'intérêt. En bonne scientifique, elle en comprenait la nécessité, mais son sang méridional en bouillait. Aussi fut-ce avec soulagement qu'elle accueillit, deux heures plus tard, la suggestion du professeur de sortir pour aller enfin prendre un café.

Dans la petite pièce où se trouvaient les distributeurs de boissons, sandwiches et autres barres chocolatées, le sino-vietnamien passa la main dans ses cheveux gris coupés courts.

- Je me fais vieux pour tout ça, Claire. C'est curieux, parce que l'on dit que, plus on vieillit, et moins on a besoin de dormir, mais je peux vous assurer qu'en ce qui me concerne, me lever à trois heures du matin, ce n'est pas ma tasse de thé, comme disent les Anglais. Surtout que nous devons faire notre séance collective de Tai-chi-chuan : le jeune Zhou y veille. Enfin, après que notre satellite aura été placé sur orbite, je vais pouvoir prendre ma retraite.

Elle se récria :

- Votre retraite, Trinh, mais c'est impossible.

- Oh que si, c'est possible. Je ne suis plus un jeune homme, vous savez, et comme tout Chinois qui se respecte, j'aspire à un repos bien mérité. Comme dit le proverbe : « Il n'y a point de rose de cent jours. » Je possède une petite maison à Kunming, « la ville du printemps éternel », dans ma province natale du Yunnan, près de la frontière avec le Vietnam, c'est loin de ma fille et de ma petite-fille – elles vivent à Shanghai – mais nous nous verrons de temps en temps.

Opération HadèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant