CHAPITRE 7

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À la découverte de Houston


Ce fut le froid qui la réveilla. Elle avait pourtant diminué autant que possible le débit de la climatisation, mais elle grelottait, recroquevillée sous la mince serviette de coton, encore humide. Elle parcourut de ses yeux embrumés ce décor étranger, avant que la conscience lui revînt. Frissonnante, elle consulta l'heure : impossible, il ne pouvait être huit heures du matin, il faisait encore nuit noire à l'extérieur. Puis elle comprit qu'elle avait omis de mettre sa montre à l'heure locale en arrivant : le radio réveil sur la table de nuit indiquait trois heures. Elle attrapa son pyjama dans sa valise, en jetant un coup d'œil par l'entrebâillement des rideaux, essuyant d'un revers de main la buée qui obscurcissait les vitres. Au travers du rideau de pluie qui tombait dru, des millions de lumières clignotaient à perte de vue. L'obscurité gomme les inégalités sociales, pensa-t-elle : rien ne ressemble plus à la lampe d'un riche que celle d'un pauvre... à condition de ne pas y aller voir de trop près. Elle aperçut même la flamme d'une torchère, peut-être celle de la raffinerie qu'ils avaient longée plus tôt dans la soirée. Au pied de l'hôtel, les pinceaux des phares des rares voitures qui passaient en soulevant des gerbes d'eau dessinaient de mouvantes arabesques sur les autoroutes, luisantes et enchevêtrées telles un nid de serpents. Comme ce décor était hostile et déshumanisé, tellement différent des collines de sa Provence natale, où l'homme et la nature avaient appris, depuis des millénaires, à cohabiter dans une paisible harmonie.


Elle éteignit la lumière et, après avoir enfin réussi à arrêter la climatisation, se blottit en chien de fusil sous les couvertures et ferma les yeux. Mais le sommeil, volage, l'avait fui. Rapidement, elle eut trop chaud, et rejeta drap et couvre-lit. Allongée sur le dos, fixant le plafond, elle décida de profiter de cette insomnie pour mettre de l'ordre dans ses idées. Pourquoi ces Américains l'avaient-ils fait venir ? Que savaient-ils au juste de Hadès ? Et que devait-elle leur répondre ? D'ordinaire, elle excellait à ce genre d'exercice. Dotée depuis l'enfance d'un esprit méthodique, ses études scientifiques n'avaient fait que stimuler et développer ses capacités de raisonnement et de synthèse. Elle s'enorgueillissait de posséder cette logique cartésienne qui est, dit-on, l'apanage des Français. Plus d'une fois, à la veille d'un examen, ou d'un entretien important, elle avait été en mesure, par déduction et élimination, d'anticiper les questions qu'on allait lui poser, et de s'y préparer.


Hélas, son cerveau se trouvait plongé dans une confusion inhabituelle. Elle avait beau tenter d'ordonner ses pensées, sans cesse venaient se surimposer les mêmes images obsédantes. James. Les mains de James. Les lèvres de James. Son corps contre le sien. Elle tentait bien de les chasser comme on écarte une mouche importune, mais elles revenaient, toujours plus précises. Elle n'allait quand même pas se donner le ridicule de prendre une nouvelle douche froide. Sa main, un instant, descendit vers son ventre. Il existait bien une solution pour apaiser ses sens, mais elle renonça à ce pauvre substitut. Elle y avait parfois recours, après que Thierry eût pris, égoïstement, son plaisir. Mais, à l'usage, elle en retirait autant de frustration que de soulagement.


- Ma vieille, tu es complètement barjo, se gourmanda-t-elle, avant de tenter de se changer les idées en zappant, le son coupé, sur les choix diversifiés que proposaient les chaînes de télévision. Le dos calé contre ses oreillers, elle maniait machinalement la télécommande, regardant distraitement des prédicateurs chauffer jusqu'au délire des foules de fidèles dans des églises grandes comme des hangars d'aviation ; de jeunes géants noirs défier les lois de la pesanteur pour s'envoler et déposer, avec une déconcertante facilité, un ballon dans un panier de basket ; des vendeurs de voitures d'occasion au verbiage incompréhensible, déguisés en cow-boys d'opérette ; de pathétiques champions de la boustifaille s'affronter dans de sinistres concours d'engloutissement de spaghettis. Finalement, elle tomba sur une station qui diffusait un vieux film français, « La Belle et la Bête, » de Jean Cocteau. Elle l'avait déjà vu mais, de guerre lasse, elle se laissa distraire par le charme désuet des images en noir et blanc.

Opération HadèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant