Chapitre 17

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CHAPITRE 17

Le fameux Patrick

Elle fut arrachée à ces réflexions mélancoliques par le hurlement d'un moteur en surrégime, suivi de l'irruption d'une Jeep d'un rouge criard, surélevée sur des pneus surdimensionnés et enjolivée d'une demi-douzaine de phares fixés sur sa barre de sécurité chromée, tels les yeux du géant Argos que tua Hermès, sur les ordres de Zeus. La musique discordante qui s'en échappait était une insulte supplémentaire à la sérénité des lieux. Les chiens aplatirent leurs oreilles et se couchèrent en gémissant, soumis à une overdose d'ultrasons. Trois personnes occupaient la voiture : le conducteur, chapeau de cow-boy en paille à la Robert Redford et lunettes de soleil d'aviateur façon Tom Cruise. Et deux filles, jeunes et jolies, l'une aussi brune que l'autre était blonde, qui semblaient sortir du même moule, tel que popularisé de concert par les presses masculine et féminine : gros seins, tailles fines, lèvres botoxées. Elles portaient la tenue classique des pom-pom girls : des brassières très décolletées qui découvraient leurs nombrils, et des jupettes ultra-courtes qui mettaient en valeur leurs interminables jambes bronzées.

Enfin, le chauffeur consentit à éteindre son moteur, et les braillements de ses haut-parleurs, par la même occasion.

- Z'êtes qui, vous ? dit-il, pointant de l'index vers la jeune chercheuse, sans sortir de son véhicule. Il devait s'agir du fameux Patrick. Elle faillit se lever de son siège, comme une écolière prise en faute, mais se retint juste à temps : elle n'avait rien fait de répréhensible, et elle n'avait pas à se sentir coupable.

- Bonsoir, je m'appelle Claire Massari. J'ai été invitée par madame Conyngham à séjourner dans cette maison, répondit-elle, affichant une assurance qu'elle était loin de ressentir. Et vous, jeune homme ? Ils devaient avoir à peu près le même âge, mais elle ne se sentait pas encline à faire assaut de politesse, après la façon dont il l'avait abordée.

-Ah ouais, la Frenchie. Maman m'a mis au courant, rétorqua-t-il, en posant à terre une botte poussiéreuse. Et vous comptez rester longtemps ici ?

- Aussi longtemps que le souhaitera madame votre mère, riposta-t-elle froidement. Son premier contact avec le benjamin des enfants Conyngham ne s'engageait pas sous les meilleurs auspices. Elle repiqua du nez vers son clavier, bien décidée à ignorer le grossier personnage. Mais celui-ci, franchissant les quelques pas qui les séparaient, vint se planter résolument devant elle, et il lui fut impossible de simuler plus longtemps l'indifférence. Se redressant sur son siège, elle leva les yeux vers lui avec agacement. Alors, tendant vers elle une main qu'elle ne sût refuser, il se fendit d'un large sourire.

- Oh, excusez-moi, Frenchie ! Je ne voulais pas vous offenser. Et bienvenue au Seamair. Il ôta ses lunettes de soleil, et elle eut ainsi le loisir de le dévisager. Son visage un peu rond, pailleté de taches de rousseur, était auréolé d'une crinière rousse et rebelle qui jaillissait de sous son couvre-chef. Sa parenté avec James était indéniable, son charme évident. Mais ses traits, d'une façon qu'elle n'aurait su définir, paraissaient être comme une copie un peu brouillée de ceux de son aîné, de la même manière que pouvaient différer deux tirages d'une même lithographie. Le menton manquait un peu de fermeté, les lèvres accusaient une certaine mollesse, les yeux, très beaux, trahissaient une langueur presque féminine. Mais, au moins, sa poignée de mains ne manquait pas de fermeté. Comme elle ne réagissait pas, il reprit.

- Et qu'est-ce que je peux faire pour rendre votre séjour agréable, Frenchie ?

- Pour commencer, cessez de m'appeler « Frenchie », s'il vous plaît. Ensuite, écartez-vous de mon soleil, si ce n'est pas trop vous demander ? Ce qui n'était bien sûr qu'une figure de style, car elle avait pris soin de s'asseoir à l'ombre, en cette chaude après-midi.

Opération HadèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant