CHAPITRE 3

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Le Petit Chaperon Rouge


- Ainsi, Miss Massari, vous prétendez ignorer pourquoi notre société a dépensé une coquette somme pour vous faire venir, toutes affaires cessantes, à Houston ?

Une note de scepticisme hostile pointait dans la voix de l'homme qui venait de lui adresser la parole, auquel son teint jaune et ses yeux plissés donnaient l'air d'un bonze égaré à Wall Street. Il flanquait Meg Conyngham sur sa gauche. Il poursuivit :

- Nous autres, Américains, sommes des gens pratiques et directs, et les Texans encore plus que les autres. Alors, il est inutile de jouer au plus fin avec nous.

- Mais vraiment, monsieur, je vous assure, l'interrompit Claire. C'était un comble. Voici qu'on la mettait en demeure de justifier sa présence ici. Piquée au vif malgré sa timidité, elle se redressa :

- Écoutez, monsieur, je n'ai pas demandé à venir ici, et si je vous dis que j'ignore le pourquoi du comment, je vous interdis de mettre ma parole en doute. Vous, les Américains, vous êtes des gens pratiques, dites-vous, eh bien nous ne le sommes pas moins, cher monsieur, et en prime nous sommes polis, nous autres Français. Et on n'a pas des oursins dans les poches, en plus !

À demi-satisfaite de sa tirade trop cocardière, elle se renfonça dans son fauteuil, le rouge aux joues, regrettant déjà la vivacité de sa réaction, mais remarquant néanmoins que les spectateurs, y compris l'intimidante Mme Conyngham, échangeaient des sourires de connivence. L'un des participants lui adressa même un clin d'œil, levant le pouce en signe d'approbation. Un moment déconcerté, son interlocuteur voulut reprendre la parole, mais en fut empêché par sa voisine.

- Un instant, Henry, ne nous laissons pas détourner de notre sujet, dit-elle en posant une main sur son avant-bras. Et puis n'essayez pas de vous faire passer pour un cul terreux du Sud : tout le monde ici sait que vous êtes un fichu libéral californien. N'en veuillez pas trop à Henry, Miss Massari. En sa qualité de directeur financier du groupe, il veille jalousement à nos intérêts, ce dont je lui sais gré. Pardonnez-nous nos manières abruptes. Nous appartenons au monde des affaires, et vous à celui de la science. Je ne vous apprendrai rien cependant en vous disant que ces deux univers, en apparence dissemblables, ont besoin l'un de l'autre. Je n'en dirai pas plus pour le moment, je laisse à mon fils James le soin de vous expliquer les motifs de notre invitation, et répondre à vos questions. Pour ma part, je dois participer, ainsi que ces messieurs à une réunion imprévue mais qui ne peut attendre, aussi veuillez nous excuser.

Déjà debout, Conyngham junior lui faisait signe de le suivre, Levesque sur ses talons. Alors qu'elle allait sortir, Meg Conyngham ajouta quelques mots.

- Je suis sûre, mademoiselle, que ce voyage vous a fatiguée, mais voudriez-vous dîner avec moi demain soir ? Elle accepta, naturellement.

La réception s'était remplie en son absence. Deux douzaines de paires d'yeux bridés se braquèrent sur elle. Chinois ? Coréens ? se demandait-t-elle en se frayant un chemin au travers de cette petite foule jacassante, précédée par les deux hommes qui s'inclinaient de droite et de gauche. Non, plus probablement Japonais. Ce qui expliquait la tenue de l'hôtesse dans la réception. Au bout d'un couloir, dont la moquette épaisse étouffait le bruit de leurs pas, s'ouvrait un vaste bureau qui occupait tout un angle du building. La vue était impressionnante. Le ciel avait viré à une vilaine couleur aubergine. Lourd d'un orage qui ne parvenait pas encore à éclater, il grondait sans interruption, comme un molosse tenu en laisse. Mais les éclairs qui déchiraient l'horizon étaient éclipsés par les millions de watts qui jaillissaient des immeubles avoisinants. Ou bien les Américains ignoraient les économies d'énergie, ou alors ils travaillaient vraiment tard. Fascinée, elle s'approcha de la baie vitrée.

Opération HadèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant