Chapitre 33

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CHAPITRE 33

Fatalitas !

Elle eut doublement de la chance, puisqu'elle trouva un siège sur un TGV qui partait tôt le lendemain, et qu'il ne fût pas retardé pour cause de grève, de travaux, d'intempéries ou d'incidents malheureusement indépendants de la volonté de la SNCF. Assise à côté d'un cadre qui passa tout le temps du voyage à aligner des calculs sur son ordinateur, elle feuilletait machinalement un hebdomadaire spécialisé dans « l'actualité heureuse », oublié par un voyageur précédent, quand, dans un article sur Hollywood, illustré de photos, elle tomba sur celle de James, avec à son bras une somptueuse créature dont le fourreau lamé argent semblait avoir été peint sur la peau. La légende disait : « L'irrésistible James Conyngham, dont on annonce – enfin - le mariage prochain avec sa ravissante fiancée, Jennifer McCallum. L'amour aurait-il enfin rattrapé l'incorrigible play-boy, dont on ne compte plus les cœurs qu'il a brisés ? Rappelons qu'il compte parmi les célibataires les plus convoités d'outre-Atlantique et que, attrait supplémentaire, il appartient à une dynastie pétrolière dont la fortune en pétrodollars peut rivaliser avec celle du fameux J.R., héros du feuilleton télévisé, « Dallas ». Reste que sa dulcinée hawaïenne n'est pas dans la débine non plus, puisque son père, richissime businessman d'origine irlandaise, qui mène ses affaires sous le soleil d'Hawaï, figure, année après année, dans le Top 50 des plus grosses fortunes, établi par le magazine Forbes. »

Les tempes bourdonnantes, elle laissa glisser de ses genoux le magazine. Une brusque nausée lui étreignit le ventre, mais ce n'était pas un résultat de sa grossesse, de cela elle était sûre. Ceci dit, son sandwich bagnat thon et légumes lui parut d'un coup beaucoup moins appétissant. Ainsi donc, toutes ces belles promesses, ces yeux doux, leurs nuits d'extase, c'était pour ça ? Dès qu'elle avait le dos tourné, monsieur revenait à ses anciennes idylles ? Mais ça ne se passerait pas comme ça ! Elle n'allait pas s'accrocher, ça non, ce n'était pas son genre ! Mais elle allait au moins lui dire son fait, à ce triste sire !

Un peu perdue sur le macadam gras du parvis de la Gare de Lyon, dont l'horizon était clos par les brasseries du boulevard, elle eut la chance de rencontrer quelques Parisiens moins pressés que les autres, qui lui indiquèrent la direction de l'hôtel dans lequel elle avait réservé.

Elle n'aimait pas trop Paris, dont la taille et la froideur la rebutaient, et qu'elle connaissait mal, bien qu'elle ait passé deux ans à Versailles, à la fin de sa scolarité, suivis de deux années supplémentaires à l'École des Mines, où elle préparait son mastère en gestion et traitement des eaux, des sols et des déchets. Mais elle avait encore du temps devant elle et, après avoir déposé son mince bagage dans sa chambre, fonctionnelle mais plus petite que la seule salle de bains de l'hôtel dans lequel elle avait logé à Houston, elle décida de gagner le ministère à pied, en suivant les quais, comme une vraie touriste, ce qui l'aiderait peut-être à repousser les idées noires qui lui polluaient la cervelle. Il faisait beau, et la distance n'était pas bien grande, et elle eut temps de musarder le long des stands de bouquinistes. Depuis quand n'avait-elle pas lu un livre ? Un vrai livre ? Elle allait parfois déambuler entre les stands du marché aux livres anciens, à Nice, et elle faisait chaque année un tour au festival du livre de Mouans-Sartoux, mais les bouquins qu'elle achetait parfois restaient le plus souvent à se couvrir de poussière dans un coin de son studio. Elle se souvenait des belles éditions, aux tranches dorées, de la bibliothèque de son père, les Jules Vernes, les Paul d'Ivoi, les Boussenard. Sa mère avait tout cédé à vil prix au premier brocanteur venu, lorsque l'oiseau avait quitté le nid, davantage poussée par la nécessité financière que par un désir de revanche. D'ailleurs, elle conservait encore, ce qui ne manquait pas d'énerver Claire, les costumes, les cravates, les paires de chaussures, même le rasoir, de l'époux adultère, sans doute dans l'espoir informulé qu'il reviendrait un jour.

Opération HadèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant