Chapitre 53

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CHAPITRE 53

L'heure des « Ganbei »

Durant le trajet, elle expliqua au jeune ingénieur anglo-indien qu'elle pourrait désormais se débrouiller pour les transports, et qu'il ne devait donc pas se sentir tenu de jouer les chauffeurs.

- Oh, ça ne me dérange pas, vous savez, c'est mon chemin, de toute façon. Mais en tout cas, j'insiste pour une invitation à dîner. J'en ai déjà parlé à Sanjukta, elle est toute excitée. Vous aimez la cuisine épicée ?

Par rapport à la veille, la journée fut un peu décevante pour Claire. Certes, le professeur était toujours aussi affable et bienveillant à son égard mais, quant à Hadès, l'essentiel avait été fait : le programme avait été intégré au satellite, testé une énième fois, il ne restait plus, en ce qui la concernait, qu'à attendre le lancement, prévu dans quatre jours. Il n'en était pas de même pour l'équipe chinoise, qui continuait de s'affairer pour tenir les délais. Aujourd'hui, c'était la mise sous coiffe, une étape importante. Le satellite allait être installé dans le nez de la fusée, avant que ce dernier soit lui-même mis en place au sommet des quarante mètres du lanceur Soyouz, dans un autre bâtiment, situé à mi-chemin du pas de tir.

Elle appréciait les pauses occasionnelles que s'octroyait le scientifique chinois pour aller fumer une cigarette dans le petit patio, qu'elle mettait à profit pour bavarder avec lui. Après y avoir réfléchi, elle avait décrété, en son for intérieur, que tant que cela se passait à l'extérieur, elle et son bébé pouvaient bien supporter la proximité fortuite d'un consommateur de nicotine. Néanmoins, ils étaient fréquemment rejoints par d'autres personnes qui venaient sacrifier à leur accoutumance, des employés du Centre ou des Chinois. Ces derniers, surtout, fumaient beaucoup, et lorsque l'atmosphère devenait par trop irrespirable, elle était contrainte de se réfugier à l'intérieur.

Le point fort de la journée fut le plein des réservoirs par les ergoliers, qui se déroula dans un autre bâtiment, véritable blockhaus, dans lequel le satellite avait été amené par un sas spécial de douze mètres de haut. En dépit de son insistance, Claire ne fut pas admise à y assister, en raison des dangers de ces manipulations. Les ergols, très toxiques et volatils, nécessitaient des dispositifs de protection et de sécurité sophistiqués et le passage par un sas de décontamination. Les agents de l'ASE auxquels elle put parler lui opposèrent une fin de non-recevoir, aimable mais ferme. Les Chinois, du reste, ne participaient pas non plus à cette phase des opérations, confiée à des spécialistes hautement qualifiés.

Elle put cependant la suivre de loin, grâce à un circuit fermé de télévision. Les Chinois, sur les nerfs, commentaient chaque étape avec une excitation croissante. Ils avaient tort de s'inquiéter, car l'opération fut menée avec le plus grand soin par des techniciens qui connaissaient visiblement leur affaire et traitaient le satellite avec autant d'égards que s'il se fut agi d'un nouveau-né, ce qui était d'ailleurs à peu près le cas. Du reste, le moindre des engins qui passaient entre leurs mains représentant des centaines de millions de dollars d'investissements, il n'était pas question de le manipuler avec désinvolture. Lorsque le chef d'équipe signifia que tout était terminé, en levant le pouce vers la caméra, puis confirma par la radio intégrée à son casque, l'ensemble de la délégation chinoise, professeur Nguyen en tête, applaudit. Tout le monde se retrouva quelques minutes plus tard dans une des salles du bâtiment principal, où comme par magie quelques bouteilles de cognac firent leur apparition. Il fallait trinquer à l'accomplissement de cette importante étape. Les ergoliers, débarrassés de leurs encombrantes combinaisons, véritables scaphandres intégraux et autonomes, qui les faisaient ressembler eux-mêmes à des astronautes, se joignirent aux libations un peu plus tard.

Opération HadèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant