Chapitre 20

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CHAPITRE 20

Samuel « Lune Blanche »

Une fois au ranch, elle fut soulagée qu'un jeune peón vînt prendre la bride de sa monture pour la mener vers les écuries. Elle se sentait trop lasse pour la bouchonner et la panser, ainsi qu'elle aurait dû le faire. Patrick, en revanche, demeura en selle et prit congé : il devait aller superviser les équipes au travail. Elle admira son endurance. Pour sa part, elle n'aspirait qu'à une méridienne réconfortante.

Sa chambre était fraîche, presque froide, en raison de la climatisation. Elle l'éteignit, se contentant d'ouvrir la fenêtre pour établir un courant d'air. Elle fut agréablement surprise que Stanley eût déjà décroché la tête de cerf qui l'obnubilait. Ayant ôté ses bottes poussiéreuses, elle s'apprêtait à s'étendre, quand elle pensa à son ordinateur. Chose rare, elle n'avait pas consulté son courrier électronique depuis qu'elle avait posé le pied sur le sol américain. Mais l'enchaînement rapide des vicissitudes des dernières soixante-douze heures ne lui en avait guère laissé le temps.

Elle se rendit compte, sans surprise mais avec un certain découragement, qu'elle avait reçu durant ce court laps de temps plus de deux cents messages. La plupart de ceux-ci étant sans intérêt, soit des spams, soit des publicités, soit encore de ces blagues éculées et souvent sexistes, voire racistes, qui circulaient en boucle sur le réseau, et que certaines de ses connaissances semblaient passer le plus clair de leur temps à répandre, au risque de diffuser en même temps des virus.

En ayant éliminé rapidement la plupart sans même les ouvrir, elle parvint enfin à ceux qu'elle avait gardés pour la fin, mais ses yeux papillonnaient de fatigue. Elle referma le capot de l'ordinateur, se promettant de terminer dans la soirée, avant d'aller s'allonger sur le patchwork de coton avec un soupir d'aise, accompagné d'un vague sentiment de culpabilité : elle n'allait tout de même pas passer le plus clair de son séjour aux États-Unis à se goinfrer et dormir !

Combien de temps reposa-t-elle ? Elle n'aurait su le dire, mais la lumière avait baissé lorsqu'elle fut arrachée en sursaut à son sommeil par un hululement strident, alors que les rideaux se tordaient en tous sens sous l'effet d'une tempête de poussière. Une tornade ? Le phénomène était courant dans ce pays. Pourtant il faisait si beau...

Groggy, la bouche pâteuse et les yeux encore englués de sommeil, elle eut le réflexe de baisser la fenêtre à guillotine, avant de réaliser que ce vacarme était provoqué par un hélicoptère en train de se poser devant la maison. Finalement, la turbine ralentit dans un decrescendo désagréable, avant de s'arrêter tout à fait. L'appareil affichait sur son empennage le trèfle emblématique de la société Shamrock. S'agissait-il d'une visite impromptue de Meg Callaghan ? Non, c'était...

- James ! s'écria-t-elle, n'osant encore y croire et le cœur battant à se rompre, telle une enfant découvrant ses jouets sous l'arbre, le matin de Noël.

C'était bien la haute silhouette du jeune homme d'affaires qui venait de sauter souplement sur le sol et, légèrement courbé pour éviter les pales qui tournaient encore au ralenti, se dirigeait à grandes enjambées vers la demeure, traînant une valise dont les roulettes traçaient deux sillons parallèles dans le gravier.

À peine eut-elle le temps de se passer un peu d'eau sur la figure qu'ils se rejoignirent sur le seuil de la maison et, sans savoir comment, Claire se retrouva enserrée dans l'étau de ses bras puissants. Et, comme si cela avait été inscrit de longue date dans le grand ordre des choses, elle sentit ses lèvres chaudes et douces se poser dans son cou, remonter le long de sa joue pour venir butiner son visage, ses yeux, les ailes de son nez, puis finalement sa bouche, pour un lent, interminable baiser. Peu lui importait qu'il ne se fût pas rasé ! Elle aurait voulu qu'il la soulevât dans ses bras et l'emmenât n'importe où, dans sa chambre, sur un canapé, même par terre, qu'il lui arrachât ses vêtements et qu'il fît d'elle sa chose consentante. Les yeux fermés, tous ses sens en éveil, elle ne pouvait ressasser qu'une pensée : « Il est ici. James est ici. C'est un miracle. Merci mon Dieu. » Ils furent arrachés à leur ravissement mutuel par une voix de basse et légèrement gouailleuse.

Opération HadèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant