CHAPITRE 57
Un grondement de fin du monde
Elle avait fini par partager le dîner de Nadège et de ses enfants, n'ayant guère envie d'une soirée solitaire. Mais la nuit sans James avait été longue : il lui manquait terriblement. Le lanceur avait été transféré sur le pas de tir, pendant qu'elle était à Cayenne, et elle regretta de ne pas avoir assisté à l'opération, assez spectaculaire. Le lancement était prévu pour le samedi, à cinq heures du matin, une raison supplémentaire d'espérer que James rentrerait à temps, comme prévu. Les conditions météo s'annonçaient favorables, et il fallait en profiter pour utiliser cette fenêtre de tir, car la prochaine ne se présenterait pas avant six semaines, et un tel délai perturberait gravement le planning des lancements. Déjà une équipe coréenne s'affairait dans le hall libéré par les Chinois, à préparer un satellite Koreasat qui allait être lancé par Ariane 5. Les membres de l'équipe chinoise rongeaient leur frein dans le bâtiment qui leur servait de logement, à l'exception du professeur Nguyen qui devait participer à la Revue d'Aptitude au Lancement (RAL), longue réunion à l'issue de laquelle serait décidée – ou non – la mise à feu.
- Que nous réussissions, ou que nous échouions, il nous faudra partir de toute façon, lui dit-il avec un sourire d'excuse.
En désespoir de cause, Claire rentra elle aussi. Cette inactivité forcée lui pesait, mais elle fut heureusement rompue, en fin de matinée, par un coup de sonnette. Elle étouffa un cri devant la créature qui se tenait sur le pas de la porte, et qui ressemblait plus à un épouvantail qui se serait roulé dans la fange qu'à son prince charmant.
- James, mon dieu, mais dans quel état t'es-tu mis ! Attends, enlève tes chaussures, au moins. Vêtu d'un short camouflé et d'un tee-shirt vert olive maculés de boue, chaussé de rangers crottées et portant, outre un énorme sac à dos, une gourde et un poignard impressionnant, l'homme de sa vie lui souriait de toutes ses dents, d'autant plus blanches qu'elles resplendissaient au milieu d'un visage noirci au cirage. Il enleva le béret vert qui le coiffait, et elle poussa un nouveau cri : sa chevelure rousse avait été tondue à ras.
- Sainte mère de Dieu ! Tu t'es engagé dans la Légion ? Mais qu'est-ce qu'ils t'ont fait, ces fadas ?
- Mais non, c'est juste une sorte de rite d'initiation, ça veut dire qu'ils m'ont accepté comme un des leurs. C'est un truc de mecs, tu ne peux pas comprendre.
- J'aurais du mal, en effet. Bon, à la douche, mon bonhomme. Oui, on se fera des câlins plus tard, quand tu te seras débarbouillé ! Tu dois piquer, en plus : depuis combien de temps ne t'es-tu pas rasé ? Tu as plus de barbe que de cheveux, c'est malin, ça ! Ah, les hommes ! Elle réussit à le faire se déshabiller dans l'entrée et entreprit de porter, du bout des doigts, ses effets dans la machine à laver, et ses chaussures sur le balcon, pendant qu'il entonnait sous la douche les chants de marche qu'avaient dû lui enseigner ses nouveaux copains.
- Et tu fumes, maintenant ? Elle venait d'exhumer d'une poche du short un paquet de cigarettes passablement écrabouillé.
- Non, toujours pas. Mais indispensable, à cause des sangsues. Elle lâcha avec un petit cri le vêtement qu'elle tenait.
- Des sangsues ! Berk ! J'espère que tu n'en as pas ramenées, au moins ?
Il sortait de la douche, ruisselant et se bouchonnant vigoureusement avec une serviette. Elle l'observa du coin de l'œil, par l'entrebâillement de la porte de la salle de bains. Il avait maigri, et bronzé, et arborait des cicatrices récentes sur son torse, ses bras et ses jambes. En fait, toutes les parties de son corps, à l'exception de... son regard descendit. Non, ça au moins, c'était intact. Et encore plus beau que dans son souvenir. Son crâne rasé le faisait bien ressembler un peu à un bagnard, mais un bagnard hollywoodien, très séduisant donc. Au moins, il n'avait pas rajouté de tatouages à l'aigle américain et au Saint Patrick qui ornaient, respectivement, ses biceps gauche et droit. Une flambée de désir lui tordit le bas-ventre. Elle vint se plaquer dans son dos.

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Opération Hadès
AdventureBrillante scientifique travaillant à Sophia Antipolis, Claire Massari a la géniale intuition d’un programme informatique qui révolutionnera la séismologie. Mais sa découverte suscite bien des convoitises. Sa rencontre avec un jeune pétrolier texan l...