Chapitre 55

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CHAPITRE 55

Indian tradition, my dear !

La journée du lendemain fut analogue à celle qu'elle avait vécue, le réveil matinal et les Ganbei en moins. Par commodité, elle alla déjeuner dans le restaurant le plus proche du site de lancement de Soyouz, où les techniciens russes avaient leurs habitudes. On avait même adjoint à la carte du bortsch, des pirojki et autres spécialités russes. Ainsi qu'elle l'avait fait au ranch avec les cow-boys, elle força sa réserve naturelle pour aller s'asseoir avec eux, à la longue tablée qu'ils avaient constituée.

Elle avait eu raison de se faire violence, car ils se montrèrent ravis de sa présence. Il y avait de nombreuses femmes dans leur groupe, mais les plus empressés étaient naturellement les hommes, qui se disputèrent le plaisir d'être assis à ses côtés, sous les regards amusés, voire un peu agacés, de leurs collègues féminines. Pourtant, certaines d'entre elles étaient d'authentiques beautés slaves, les cheveux blonds, les yeux bleus et les pommettes saillantes. Mais son physique de méditerranéenne devait être infiniment plus dépaysant à leurs yeux.

Contrairement à ce qu'elle avait cru, la plupart d'entre eux s'exprimaient assez aisément en anglais. L'un d'eux parlait même bien le français. Ce Sacha n'était pas vilain garçon, avec sa grande bouche rieuse et ses cheveux longs qui lui donnaient un air vaguement romantique, et il tenta de lui faire un début de cour. Elle remarqua aussi que, s'ils n'avaient commandé que des carafes d'eau, des bouteilles de vodka circulaient plus ou moins discrètement sous la table, avant d'être replacées dans les sacs dont certains étaient munis. Les hommes, surtout, buvaient sec. Elle dut décliner plusieurs fois l'offre qui lui était faite de remplir son verre.

Elle avait averti le professeur Nguyen qu'elle serait absente le lendemain matin, en raison de son rendez-vous médical. Il lui aurait probablement suffi de s'adresser à cette madame Récamier qu'on lui avait présentée le premier soir et de lui demander que l'on mît une voiture à sa disposition, mais cela gênait sa discrétion habituelle. Elle se renseigna donc auprès d'un des ingénieurs, qui lui indiqua qu'il existait des taxis collectifs - qu'il lui déconseilla cependant - ainsi que des minibus qui, une fois qu'ils avaient fait leur plein de voyageurs, rejoignaient Cayenne. Il ajouta avec un demi-sourire que les conducteurs guyanais n'étaient pas, de son point de vue, les meilleurs du monde.

Elle n'avait aucune nouvelle de James, ni de personne d'ailleurs, car elle n'avait pas de téléphone portable – dont l'usage au demeurant était interdit dans la plupart des locaux du centre - aussi fit-elle un détour, en fin de journée, par le bâtiment dans lequel travaillaient Nadège et ses amies, afin de consulter sa messagerie électronique. Mais elle n'avait reçu aucun message digne d'intérêt. Pour sa part, elle se contenta d'écrire rapidement à Meg pour lui donner quelques nouvelles du prochain lancement, et l'informer que James était parti dans la jungle en compagnie des légionnaires. Elle était en train d'envoyer un message à sa mère lorsqu'elle fut interrompue par l'arrivée de Sunil Malhotra.

- Navré de vous prévenir si tard, mais je vous ai cherchée un peu partout : seriez-vous libre pour venir dîner à la maison ? Ne dites pas non, s'il vous plaît : Sanjukta a déjà tout préparé. Si je rentre sans vous, ça va être pire que la bataille de Kurukshetra. Venez avec votre fiancé, bien sûr.

Il leva drôlement les yeux au ciel lorsqu'il apprit que James ne pourrait se joindre à eux :

- On va encore avoir des restes pour une semaine : une maîtresse de maison indienne préférerait se réincarner dans une caste inférieure plutôt que d'encourir le déshonneur que ses invités viennent à bout des plats qu'elle a préparés. Ce serait comme si elle n'avait pas prévu suffisamment. J'espère que vous avez bon appétit ? Nous logeons à une centaine de mètres de chez vous. Je passerai vous prendre vers dix-neuf heures, d'accord ? Nous avons deux couples d'invités, qui viennent d'Angleterre, comme nous. Mais vous parlez anglais, n'est-ce pas ?

Opération HadèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant