Chapitre12

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CHAPITRE 12

Ras le bol !

Décidément, Claire aimait de moins en moins ce drôle de monde dans lequel elle avait mis les pieds. Celui dans lequel elle évoluait habituellement lui paraissait plus simple. Même si le monde de la recherche n'était pas exempt non plus d'intrigues, de coteries, de jalousies et de coups fourrés.

Le nez plongé dans la carte, elle tentait de comprendre quelque chose à la description des divers plats proposés. Meg Conyngham lui suggéra de prendre une grillade de bœuf.

- Il est excellent, vous verrez. D'ailleurs, c'est moi qui le leur fournis.

- Mais, je croyais que vous étiez dans le pétrole ? La femme d'affaires s'esclaffa de bon cœur :

- Dans le pétrole, oui, j'y suis, et jusqu'au cou ! Mais vous découvrirez, je pense, que les entreprises que nous contrôlons sont très diversifiées. Je possède un ranch, entre autres, et nous y élevons des bêtes qui fournissent une viande de première qualité. Vous savez, au Texas, il existe deux catégories de gens : ceux qui possèdent un ranch, et les autres. Il vaut mieux faire partie de la première, à tous points de vue. Elle éclata de nouveau d'un rire curieusement juvénile, qui fit se hausser quelques sourcils aux tables voisines.

La jeune Française fut confondue par la taille du steak qu'on lui servit, accompagné d'une pomme de terre au four et d'un épi de maïs dégoulinants de beurre fondu, ainsi que d'une salade qui, à elle seule, aurait suffi à la contenter. Visiblement, la nouvelle cuisine n'avait jamais atteint les rives du West Bayou. Mais la viande était délicieuse, grillée à la perfection et tendre, et elle ne regretta pas de l'avoir commandée, en dépit de son peu d'addiction aux régimes hyper carnés. Thierry, en revanche, aurait été aux anges. Elle chassa cette pensée avec agacement, comme elle voulait chasser de sa vie ce garçon auquel elle se reprochait maintenant d'avoir déjà consacré trop de temps.

Quant au vin californien recommandé par le sommelier, elle dut admettre, en dépit de ses préventions, qu'il valait largement certains cépages français. Elle n'avait pas la prétention d'être une œnophile émérite, et ne consommait que rarement du vin, mais elle savait au moins distinguer le bouquet, les arômes, qui différencient un grand cru d'une vulgaire piquette. Celui-ci avait un parfum balsamique, une rondeur en bouche, qui l'enchantèrent, et elle le savoura à petites gorgées, sous l'œil amusé de Meg.

Alors qu'elle était encore au lycée, elle avait fait un stage, le temps d'un été, chez un parfumeur de Grasse, et un « nez » de cette séculaire maison s'était diverti à lui apprendre à discerner – et à marier – les senteurs qui concouraient au caractère unique et, dans le meilleur des cas, au succès d'un parfum : bergamote, santal, patchouli, œillet, essence de rose, il en existait plusieurs milliers... Il aurait fallu beaucoup plus de temps que ces quelques semaines avant qu'elle puisse, à l'égal des plus grands, travailler avec une palette de plus de cinq mille odeurs différentes, mais son mentor avait décelé chez elle des prédispositions certaines et une proposition d'emploi s'en était ensuivie, qu'elle avait déclinée.

Elle pensait parfois avec amusement que, n'eut-elle choisi une carrière dans la recherche, elle aurait pu être créatrice de parfums. Discipline qui requérait aussi, d'ailleurs, une rigueur toute scientifique, à l'appui de l'intuition créatrice. Et dont la poignée de titulaires étaient astronomiquement mieux payés que ne le seraient jamais les chargés de recherche au CNRS et autres rats de laboratoire. Au prix toutefois d'une vie ascétique d'où tous les excès étaient exclus. Ce n'étaient pas eux qui auraient pu se gâter l'odorat en fumant et en buvant comme Meg Conyngham, par exemple.

Cette dernière mangeait peu, picorant dans son assiette remplie de crabes frits. Son téléphone portable sonnait souvent, et elle y répondait brièvement, en s'excusant auprès de son invitée : « Les affaires, vous savez ». Un des appels, devina la jeune Française à son ton soudainement enjoué, venait de James, et elle dut se faire violence pour demeurer indifférente et ne pas lui demander des nouvelles de son play-boy de rejeton. Quelle heure pouvait-il bien être à Honolulu ? Il devait se trouver sur la plage, avec sa fiancée, ou pis encore dans leur chambre, en train de ... elle lutta pour chasser cette image troublante. En quoi cela la regardait-il, après tout ? Elle avait été suffisamment idiote de croire que ce garçon, beau et riche comme il l'était, pût s'intéresser à elle, au-delà d'une brève aventure, d'une conquête facile. Un bon coup, et rien de plus. Cela devrait me servir de leçon, songea-t-elle amèrement.

Opération HadèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant