Chapitre 56

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CHAPITRE 56

Apparence et faux semblant

Cayenne était une grosse bourgade poussiéreuse, dont les rues à angles droits bordées de bâtiments bas aux façades souvent lépreuses, exsudaient l'ennui. Seule, la Place des Palmistes, non loin de laquelle se trouvait le cabinet médical, rehaussait un peu l'ensemble, avec ses bâtiments officiels, remis à neuf. Pourtant la peinture s'écaillait déjà sur les façades et les volets des grandes demeures de l'époque coloniale, effet sans doute du climat délétère. Peu de gens affrontaient la chaleur étouffante, et les rares piétons rasaient les murs entre les boutiques chinoises, qui constituaient, avec leurs étals débordant d'articles en plastique coloré, l'essentiel de l'animation du centre-ville. Claire, qui ne craignait d'ordinaire pas la chaleur, se sentait ruisseler, en dépit de sa robe légère.

Soudain, sans que rien ne l'ait laissé présager, de grosses gouttes vinrent étoiler la crasse des trottoirs fendillés et bosselés, puis ce fut une véritable cataracte qui s'abattit sur la ville. Elle trouva son salut, comme d'autres passants, en se réfugiant dans l'un des bazars, poétiquement baptisé « Le Dragon d'Or. » Trois générations de Chinois étaient réunies autour de la caisse, jacassant avec animation, sans paraître se soucier des quelques chalands qui, faute de mieux, circulaient entre les tables surchargées de bouilloires en fer blanc, de seaux en plastique, de lampes à pétrole et de toute une bimbeloterie bon marché aux couleurs criardes. Parce qu'elle se sentait gênée d'entrer dans une boutique sans acheter quoi que ce soit, elle fit l'emplette d'un parapluie de mauvaise qualité et d'un porte-clefs représentant un tigre, pour James. Une jeune Chinoise, cheveux sagement nattés et lunettes rondes perchées sur un joli minois, qui devait être la petite-fille de l'ancêtre qui trônait derrière la caisse enregistreuse, lui expliqua joyeusement :

- C'est le porte-clefs de l'année du tigre : il n'est pas cher, parce que c'est l'année du lapin maintenant.

La pluie s'était arrêtée aussi brutalement qu'elle était venue, et elle reprit la direction du cabinet. Heureusement, elle était en avance. De la vapeur d'eau s'élevait déjà du macadam brûlant. Elle avançait précautionneusement en prenant garde de ne pas se tordre une cheville sur le trottoir inégal, quand elle aperçut du coin de l'œil un long capot noir et luisant de pluie glisser doucement jusqu'à sa hauteur. La voiture la dépassa pour s'arrêter quelques mètres plus loin. Elle reconnut l'antique limousine du consul des États-Unis. Une vitre s'abaissa silencieusement.

- Mademoiselle Massari, quelle agréable surprise. Je pensais à vous, justement. Montez un instant, je vous déposerai. Il serait temps que nous causions, vous et moi.

Tiens, se dit-elle, il connaît mon nom, à présent. Je ne suis plus « l'assistante » de monsieur Conyngham. Elle hésita : Wong ne paraissait pas être un individu des plus recommandables. Mais la curiosité l'emporta sur la prudence ; et le kidnapping ne figurait pas sur la liste des méfaits dont on soupçonnait le parrain chinois. De quoi donc voulait-il l'entretenir ?

Le chauffeur, la casquette à la main, lui tint la portière pendant qu'elle prenait place à côté de son patron. L'intérieur de la voiture ne sentait pas le cigare refroidi, comme la Bentley de Meg Conyngham, mais plutôt un mélange d'eucalyptus, de menthol et de naphtaline, ce qui, à tout prendre, était quand même moins désagréable. Elle se tourna à demi vers l'asiatique qui, en dépit de la chaleur caniculaire, était vêtu d'un costume trois pièces et paraissait aussi frais que s'il venait de prendre une douche. Il est vrai que la voiture, en dépit de son âge, était parfaitement climatisée, et Claire frissonna, avant d'éternuer copieusement. Le consul honoraire lui tendit un paquet de mouchoirs en papier, qu'elle accepta, et une pastille à la menthe, qu'elle refusa, avant de lui demander cérémonieusement :

Opération HadèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant