Avec lui, je suis juste moi

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Je sens toutes mes résolutions s'envoler à l'instant où je reconnais la silhouette de Malefoy. Il est dos à moi, alors je m'apprête à faire demi-tour en pensant qu'il ne m'a pas vu mais je manque de trébucher dans l'escalier et me rattrape à la rambarde au dernier moment, ce qui fait beaucoup de bruit.

Je me redresse lentement en priant intérieurement même si je sais que c'est peine perdue, avec le vacarme que j'ai fait il m'a forcément vu. Et quand je me retourne, il est maintenant face à moi, me toisant de toute sa hauteur. 

Je me redresse pour me sentir moins petite et m'efforce de me redonner contenance quand je m'approche de lui d'un pas que j'espère assuré. C'est loupé, il m'a clairement repéré mais je ne vais pas pour autant me laisser humilier. Je lui ai déjà laissé ce plaisir en cours de potion, il ne l'aura pas une deuxième fois.

— Malefoy, je le salue froidement.

— Aidena, répond-il.

Il utilise mon prénom pour me déstabiliser, je le sens bien, parce qu'il sait à quel point je suis fière de mon nom de famille. Mais je ne lui montre pas que ça m'atteint et attaque :

— Alors, tu t'es bien amusé tout à l'heure ? Très distrayant, ton idée, même si je t'avoue que je n'ai pas vraiment apprécié.

Je réutilise une fois de plus les précieux conseils de ma mère. Comme elle me l'a toujours répété, si je ne montre pas aux autres que ce qu'ils font m'atteint, alors ils penseront que je m'en fiche. C'est la meilleure façon pour éviter de se faire humilier ou lyncher, alors je m'efforce d'avoir l'air la plus légère possible dans mes propos. Alors si au fond, parler ainsi de mon souvenir me brûle comme de la lave, je lui donne l'impression qu'il ne m'a rien fait.

— Oh, j'ai lu ce sort dans un vieux manuel, je voulais l'essayer. Et j'avoue que je n'étais pas déçu du résultat. Tu ne le connaissais pas, n'est-ce pas ?

Je suis bien obligée de secouer la tête pour avouer que non, et un petit sourire suffisant se trace sur son visage pâle tandis qu'il continue ses explications d'un ton pédant :

— Il se prononce "Vide obumbratio tua", ce qui signifie littéralement "regarde ton ombre". En vérité, il oblige la victime à revivre son pire souvenir. Donc ton histoire de phobie d'araignée, c'est moyennement crédible. Surtout que tu ne hurlerais pas comme ça pour une phobie. Non, ce que j'ai vu, c'était plus que de la peur. C'était... de la douleur. Oui, c'est ça, c'était des cris de souffrance.

Il prononce les derniers mots du bout des lèvres, comme s'ils devaient rester secrets. Désormais, toute trace de suffisance a disparu et il me fixe d'un regard que je ne parais pas à déchiffrer. Alors, parce que je suis faible, je baisse les yeux.

Je déglutis péniblement. Il a raison, il a deviné. Et bientôt, il va comprendre quel souvenir j'ai vu; ou du moins ce qu'il s'y est passé, ce qui me rend malade rien qu'à y penser. 

Et le pire, c'est la raison de cette peur. Je n'ai pas peur qu'il apprenne la vérité et qu'il la révèle, je m'en rends compte à présent. J'ai peur qu'en l'apprenant, son regard sur moi change. Qu'il me regarde comme une enfant blessée, avec pitié. Je hais la pitié. Je n'en ai pas besoin. Je suis forte. 

Alors je relève mes yeux verts vers son regard aussi gris qu'un ciel de tempête et je le fixe, attendant qu'il continue. Qu'il m'expose au grand jour, qu'il propose des théories sur ma vision. 

J'attends. Mais ça ne vient pas. Il est silencieux. Il me fixe, et je remarque un changement pourtant à peine perceptible dans son regard. Il n'est plus méprisant et hautain, ni moqueur, non, il est presque... fragile. Nous ne sommes pas proches, un bon mètre nous sépare et pourtant, j'ai l'important de pouvoir lire en lui comme dans un livre ouvert.

Ses prunelles grises si différentes de la couleur émeraude des miennes me paraissent soudain une résonnance de mes propres yeux. Je lis en lui, parce qu'il est comme moi. Et ce que j'y vois m'est familier : de la souffrance, tellement de souffrance. Le genre de souffrance avec qui tu dois cohabiter pour ne pas t'effondrer. Le genre de souffrance que je cache derrière des murs de béton dans mon esprit. 

Les secondes s'étirent, interminables, et j'attends qu'il lance une remarque désobligeante comme il en a l'habitude. Ou que j'en fasse une sarcastique et froide. Mais tout ce qui nous entoure, c'est le silence. Un silence apaisant qui prend toute la place. Nous sommes juste là, sans parler. A nous fixer. Parce que pendant quelques minutes, nous avons le droit à une trêve. 

Il ne doit plus jouer au gros dur, à l'adolescent hautain, méprisant et antipathique. Il ne doit plus se protéger derrière des insultes ou des phrases agressives. Il ne doit plus se cacher derrière un masque indifférent et si lointain. 

Et moi aussi, je suis libre. Je suis différente. J'aimerais dire que je reste de marbre face à lui et que son regard de tempête ne me fait rien. J'aimerais dire que je reste fidèle à moi-même. Mais c'est faux. Avec lui, je n'y arrive pas. Je ne sais plus faire semblant, me cacher derrière le masque que je me suis construit. Je ne sais plus être arrogante sous prétexte de mes origines, orgueilleuse du fait de mon sang pur ou têtue parce que je suis destinée à me battre.

J'en suis incapable. Avec lui, je suis juste moi. Une adolescente perdue, dans un monde instable et injuste, qui s'efforce de ne pas se noyer sous le flot de drames. Une adolescente qui tente de ne pas se laisser submerger par les menaces de son environnement. Une adolescente qui doit cacher qui elle est réellement pour rester à la surface. 

Et ça m'effraie. Parce que je ne suis personne. Sous mes grands airs arrogants et ma vantardise d'être la descendante de Serpentard se cache une enfant qui ne sait pas qui elle est. Qui a peur de le découvrir. Peur de ne pas réussir à survivre dans son monde. 

Mais je profite malgré tout de ces quelques minutes de quiète et de paix, parce que je sais qu'elles ne dureront qu'un bref instant. Qu'après, le charme sera rompu, et nous devrons rentrer dans notre dortoir et oublier ce qui s'est passé.

Et que s'est-il passé véritablement, ce soir-là de novembre 1995, sous la voûte étoilée, pour les deux adolescents perdus que nous étions ? 

Je ne sais pas. Et je ne saurais le décrire. Parce que nous n'avons fait que nous regarder. Mais dans ce regard, plus de choses qu'on ne pourrait le dire en toute une vie ont été dites. Et je sais, au fond de moi, qu'à partir de maintenant, tout sera différent.



Wouah... Je suis encore sous le choc de ce que j'ai écrit. Un si grand rapprochement n'était pas au programme, mais je ressentais le besoin de le mettre. Parce que cela me semblait réel. 

J'ai absolument besoin d'entendre vos avis alors dites moi ce que vous pensez de cette scène que j'ai pris grand plaisir - mais galéré aussi - à écrire !

La Princesse de Serpentard [EN COURS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant