Chapitre 14

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Les jours passèrent. L'attente était longue, insupportable, je mourrais d'impatience de voir le duché revivre la même tragédie qu'il y a deux ans, la chute du Duc. Les rôles seraient inversés et je retrouverai mon "chez moi". La joie emplissait mon cœur à l'annonce que Florian m'avait fait. Cette même annonce avait répondue à mes inquiétudes au sujet d'Haysen. Il ne m'avait donc pas abandonné. Je n'étais pas seule. Mon cœur bondissait de ma poitrine rien que de penser à son retour.

Nous nous débarrasserons d'Issan; nous reprendrons droit sur nos titres et possessions; nous gérerons le duché, rendrons aux villageois un calme et une paix stable. Enfin, Haysen et moi pourrions apprendre à nous connaître. Je ferais de mon mieux pour lui plaire, pour le soutenir et nous pourrions nous entendre et vivre comme un couple. Je lui donnerai un héritier et nous vivrons heureux. Peut-être que nous aurons d'autres enfants? Un garçon et une petite fille? Non, deux garçons et trois filles. Oui, cinq jolis enfants que nous chérirons.

Mes pensées et rêves se précipitaient dans ma tête pendant que le carrosse avançait. Les secousses violentes me faisaient perdre mon équilibre sur le banc. D'ordinaire cela m'aurait agacé mais aujourd'hui rien ne peux m'empêcher de sourire. Parfois je me surprenais rire légèrement. Je tentais bien que mal à m'abandonner à ces rêveries lorsque j'étais seule mais il m'arrivais de réagir étrangement face à ma servante qui ne disait mot mais son regard parlait pour elle.

Une fois au village je sortis du carrosse. Je me promenais à travers les rues et les boutiques suivie d'un garde. Une odeur délicieuse se glissa dans mes narines que je suivis. Arrivant à une boulangerie j'entra et pris un petit pain que je dégusta continuant ma promenade. Sur la place du village, un marché s'y trouvait, animé de cris et de mouvements. Le parfum des fruits et légumes se mélangeait à celui du fromage et du poisson. Je me faufilais à travers les gens et caressais de la main les herbes : persils, menthe, coriandre et autres.

Je me sentais légère et libérée d'un poids. Voulant m'acheter une poignée de fraises, je me tourna demander la bourse au garde. Je le vis au loin, avancé difficilement dans la foule. Sans que je ne le réalise vraiment, mes jambes se mirent à courir. Tout en rigolant de ma puérilité, je me dépêcha d'échapper au garde. Je quitta la place du marché et continuais de me balader à travers les rues.

Plus je m'écartais du centre et plus les maisons étaient sombres. Les rues étroites d'où le manque de lumière. Ce paysage me rendait plus sérieuse aussi. Des enfants habillés de guenilles jouaient sur les bords des maisons et passages. Les femmes étendaient leurs linges me défigurant du regard. L'air humide et renfermé, les visages sombres et durcis par une vie de misère me faisaient comprendre que je n'étais pas à ma place.

Je décida de quitter les lieux, de retrouver mon garde et de peut-être rentré directement. Je continuais d'avancer sous les regards menaçants et curieux. Quand soudain une petite voix m'interpela.

- Mada~me. Ma~dame.

Je tourna ma tête en direction de la voix. Dans une ruelle empestant l'urine, une personne était assise contre le mur enveloppée d'une couverture.

- Madame~~.

La personne me regardait et répétais avec insistance. Je me sentis obligé de m'approcher. Me voyant avancé vers elle, le bras de la femme se tendit en ma direction et un visage souriant se leva. Les joues de la femme étaient creusées, le poignet laissait transparaître ses os et son bras habillé de piqures rouges était couvert de griffures.

-Mad~ame, Ma~dame.

Je n'osais pas prendre la main qu'elle me tendait. Quand elle s'aperçu de ma résistance à la toucher, elle arrêta de sourire subitement et me fusilla d'un regard sombre. Dans un ton grave elle dit "Madame~, vous ne voulez plus me toucher. Ahhh~ Madame~, maintenant que je ne vous sers plus, je ne mérite pas votre touché~~."

Quoi? A ces mots, mon esprit confus se braqua. Soudain, comme aspiré dans ces yeux ternes, la couleur verte de son iris me rappelait celle de Laria. Dans un doute je murmura son nom. Lorsqu'elle m'entendit le prononcer, elle souris de nouveau laissant entrevoir sa dentition dégradée.

- Madame~~, hahaha, Madame~, Mad~ame, Mad~ame, Ma~dame, Madame~, Mad~ame, Madame~, Mad~ame, Madame~, Mad~ame, Madame~, Mad~ame ...

Elle ne s'arrêtait plus. Elle riait seule en m'appelant. Revoir Laria me fit froid dans le dos. Ma gorge se serra à voir ce qu'elle était devenue. Elle avait survécu au siège, moi qui était persuadé que tous avaient péris, et pourtant je la rencontre ici, folle, assise dans l'urine et excréments.

- Laria, elle s'arrêta et écouta attentivement, merci de m'avoir servie, je vous en suis reconnaissante, dis-je essayant de retenir mes larmes.

Je retira mes boucles d'oreilles et les posa dans sa main tendue vers le ciel. Elle continuait de m'appeler sans s'arrêter. Je partis.


Deux Ans Après Notre MariageOù les histoires vivent. Découvrez maintenant