45. La Composition

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Les mains dans les poches, Reiko s'arrête devant la ruelle, pensive. Elle a envie de se battre. Ça ne lui était pas arrivée depuis un moment, mais si elle pouvait, elle sauterait sur tout ce qui bouge, de la fille qui l'a dévisagée lorsqu'elle sortait des toilettes le midi, jusqu'à l'étudiant en temps partiel dans l'épicerie qu'elle vient de quitter, qui a recompté tous les centimes de la cliente précédente, trois fois. Et ne pas voir Matsumoto la veille pour fêter son anniversaire pour la première fois avec elle depuis treize ans n'a rien arrangé. Sauf qu'on ne peut pas se battre contre les gens comme ça. En dépit du petit quartier dans lequel elle a grandi, et d'une partie de ce qu'elle a appris pour ne pas se faire harceler et survivre là-bas, ce n'est pas comme ça que ses parents l'ont élevée. Ce n'est pas dans un état similaire à celui des garçons de sa voisine qu'elle veut rentrer chez sa Grand-Mère non plus.

Jusque-là, elle avait serré les dents, et grogné, comme dirait Matsumoto. A présent, elle a besoin d'aboyer, et pourquoi pas, de mordre un peu le lycéen qui est dans la ruelle, sa chaîne ayant « encore » déraillé, de ses dires.

- Tu as besoin d'aide ?

Il se retourne, la regarde, et secoue la tête.

- Non, ça va aller. Elle me le fait souvent. Je sais la remettre, à force.

La scelle rouge attire son œil, et les mains enfoncées dans les poches jusqu'aux poignets, Reiko demande, pour confirmer son impression :

- Mince, ça t'arrive souvent ?

Le ton sur lequel elle a posé sa question démontre que ce n'en n'était pas tout à fait une, et le garçon tique en relevant la tête, les sourcils froncés.

- Je peux peut-être t'aider, toi, si tu as besoin de quelque chose.

Les yeux sombres qui le dévisagent le mettent profondément mal à l'aise, et l'expression glacée qu'elle arbore n'en n'est que plus inquiétante.

Non, on ne peut pas se battre sous n'importe quel prétexte, surtout lorsque comme elle, on a passé plus de temps à dérouiller qu'à réellement s'en sortir dans un affrontement de ruelles. Surtout quand on est plus doué pour lancer ses bras et ses jambes en l'air que sur des gens. Surtout quand on est dans un quartier aussi calme.

La seule pensée qui survient dans l'esprit de la danseuse, pourtant, c'est : « C'est surtout que je m'en tape. ». Alors elle force un sourire qui sonne faux, tirant les traits de la partie basse de son visage.

- Oui, en fait, tu connais peut-être une amie à moi. Elle a eu des soucis ici, il y a quelques temps.

L'adolescent secoue la tête, et se relève, s'apprêtant plus à tirer son vélo pour s'en aller, que de l'enfourcher si besoin. Pas la peine de se demander pourquoi elle ne l'a jamais trouvé, lors de ses balades dans le lycée. Il n'a pas le même uniforme qu'eux.

- Non, je ne connais personne.

- Une jolie brune, avec un uniforme comme le mien, qui t'a aidé avec ta chaine, un soir. Tu sais, celle que tu as laissé en plan parce qu'un groupe de types arrivait.

Il recule vivement, mais elle est plus rapide et l'empoigne par le col.

- Ecoute, je suis relativement de mauvais poil, et quand ça arrive, je conseille aux autres de bien se tenir, tu comprends ? Parce que je peux être terriblement désagréable. Tu te souviens d'elle, pas vrai ? Pas vrai ?! répète-t-elle quand il s'apprête à dénéguer.

Et terrorisé par elle, il hoche finalement la tête, parce qu'elle a de la force, le tire vers le haut au point qu'il se sent plus léger. Parce qu'il tremble comme une feuille morte, à deux doigts de tomber de l'arbre, et qu'il ne veut pas tomber. Surtout pas.

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