40. Le Fard

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Un peu comme si elle était chez elle et en partie parce qu'on ne lui a jamais fait de remarque sur le sujet, Reiko entre chez les Oikawa comme dans une boutique, ouvrant la porte d'entrée en grand sans frapper, et retirant ses chaussures à la va-vite. Chercher Matsumoto dans toute l'école, et l'attendre une heure alors qu'elle est déjà rentrée lui a déjà bien tapé sur le système. Mais ajouter à ça le fait qu'elle ne décroche pas son téléphone depuis que Reiko a reçu le message d'Hajime la met dans une colère sourde.

Passer des après-midis avec elle, l'aider à faire ses devoirs, rogner sur son peu de temps libre pour elle, ou décaler ses horaires de travail... tout ça ne semble visiblement pas avoir autant de valeur pour la lycéenne que pour son amie, puisqu'elle ne prend même pas la peine de prévenir la personne avec laquelle elle rentre tous les soirs sauf exception depuis sept ans.

Elle monte les marches en ayant laissé son sac en bas, avec sa veste en boule à l'intérieur, le pas lourd.

Elle sait qu'elle n'aurait pas dû garder tout ça pour elle, et qu'elles auraient dû en parler bien plus tôt. Alors elle va le faire maintenant. Pas dans la meilleure humeur possible, mais il faut que Matsumoto entende ce qu'elle a à dire. Si elle a changé ? C'est possible, ça commence à faire un moment, mais c'est possible. La question, c'est « Qu'est-ce que ça change ? ». Parce que pour Reiko, ça ne changeait rien. Changer de façon de faire, et de gérer sa vie n'influence pas la façon dont on se comporte avec les autres. Alors pourquoi sa relation Matsumoto l'étouffe de plus en plus ?

- Koko ? Qu'est-ce que tu fais là ? s'étonne-t-elle en la retrouvant en haut des escaliers.

- Je viens voir si tu es bien rentrée, après avoir passé les deux dernières heures à t'attendre, te chercher, et venir ici parce que tu ne réponds pas à ton foutu téléphone.

Le sourire de son amie s'efface aussi vite qu'il était arrivé.

- Désolée. J'ai oublié de te prévenir. C'est la première fois que ça m'arrive.

Habituellement, Koko se fond dans le décor. On ne la remarque que lorsqu'on a l'habitude de la chercher dedans. Même ses propres parents peinent parfois à la trouver. Là, elle détonne. Elle jure avec tout, même ses vêtements ne semblent pas être à elle : elle est furieuse, et semble plus adulte que n'importe quel professeur qu'elle croiserait au lycée, ou quel parent chez elle. Cette version de la fille qu'elle connait depuis toute petite la terrifie à présent.

- Je suis désolée, reprend-elle. Tu sais, en ce moment, c'est pas facile pour moi. Avec Eimi à s'occuper, et mes parents... j'avais besoin de prendre l'air. Tadanori m'a proposé de me raccompagner, je n'ai pas pensé à toi. Ça m'a fait du bien, aussi, de sortir avec une autre personne, et sortir de notre petit cercle. Je ne pensais pas que tu attendrais aussi longtemps. Tu aurais pu rentrer...

- Rentrer ? reprend-elle sèchement. Matsumoto, combien de fois dans ta vie je suis rentrée sans toi, sans t'attendre ou avoir te des nouvelles ? MOI ? Sérieusement.

Cette fois, l'autre s'énerve :

- C'est la première fois que ça m'arrive, c'est pas la mer à boire ! Tu n'avais visiblement rien d'autre à faire, puisque tu es même venue ici ! Tu as tellement changé que je ne te reconnais même plus !

- Eh bien, si, figure-toi. J'avais autre chose à faire, sauf que je suis encore l'idiote qui s'inquiète de celle qui ne pense à rien, siffle-t-elle.

Matsumoto arrête de se sécher les cheveux pour commencer, tremblante de colère :

- Ecoute, c'est déjà pas facile pour moi en ce moment-

- Matsumoto, tes parents divorcent, et ce n'est pas la fin du monde, s'agace-t-elle en la coupant au passage, tu ne peux pas être le centre du monde toute la journée, toute la semaine, le mois entier, et trois-cent-soixante-cinq jours par an ! Je n'ai pas changé j'ai commencé à faire des choses pour moi. Tu es égoïste au point de ne pas remarquer ça ?

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