Solitaires

21. Le Porté

La première semaine d'arrivée de Reiko est assez intense : elle ne dit pas à Matsumoto qu'elle travaille, et tout en l'aidant avec ses devoirs, la raccompagnant à l'école ou chez elle, rattrapant le programme avancé dans un sens différent en cours, jouer avec Eimi, aider sa Grand-Mère aux tâches, et son boulot le soir, de dix-neuf heures à vingt-et-une heure, elle ne dort que le strict minimum si elle veut faire ses devoirs, et être levée à l'heure pour se rendre chez les Oikawa.

Et pourtant, comme à son habitude, Reiko ne dit rien. Elle se mure dans un silence habituel, rassurant, presque, pour son amie, qui n'avait pas eu le temps de s'adapter à une Koko qu'elle semblait ne pas reconnaitre.

- C'est super bon. Tu as vraiment de la chance, d'avoir ta Grand-Mère chez toi, ta mère ne cuisine pas aussi bien.

L'autre sourit.

Sa Grand-Mère a beau lui avoir appris tout ce qu'elle sait en cuisine, elle fait partie de ces vieilles femmes qui, sans rien faire de particulier, et mélangeant les ingrédients à l'envi, sans suivre la moindre recette, parviennent aux miracles culinaires.

Elle reprend ses baguettes, et les replonge dans son bento. Les deux garçons se laissent tomber à leurs côtés, à table. Ils ne le font pas tous les jours, mais souvent encore, Hajime et Tooru mangent avec elles. Et aujourd'hui, Tooru, plus bavard que les autres jours, lâche comme une bombe :

- Pourquoi tu as plus de succès dans notre classe que moi ?

Reiko hausse les épaules.

- Le personnage ténébreux fait toujours concurrence au beau garçon jovial.

- Sauf que tu es une fille, pas un bad boy, râle-t-il en plantant sa fourchette dans son assiette.

Conspiratrice, elle se penche sur la table, plisse les yeux, et dit à voix basse :

- Qu'est-ce que tu en sais ?

Hajime manque de s'étouffer en riant, et Matsumoto pince les lèvres pour se retenir, la bouche tordue par l'effort de son esprit contre sa volonté.

- Oh, est-ce-que je peux venir dormir chez toi ? demande-t-elle soudain.

Reiko secoue les épaules.

- Pas cette semaine, mais si tu me préviens maintenant, pour la semaine prochaine, oui.

- Oh... tu dois être occupée, répond-elle peinée.

- Disons que j'ai pas mal de travail, en ce moment. Mais ça va passer.

Reiko n'a jamais pu sortir le soir, sauf si c'était prévu. Mais en même temps, elle avait pas mal de corvées à faire chez elle pour aider ses parents. Maintenant qu'elle n'est plus chez eux, Matsumoto avait pensé qu'elle pourrait la voir plus souvent en dehors de l'école. Ce n'est pas le cas. Et sincèrement, Reiko n'a de toute manière pas l'intention de laisser sa meilleure amie s'incruster dans chacun de ses moments privés.

La solitude dans l'âme, elle repense au travail qu'elle a commencé. Peut-être que sur le long terme, elle regroupera ses soirées sur deux jours. Elle n'en n'est pas encore sûre. En tout cas, elle s'est libérée le week-end, et elle compte bien en profiter pour passer réellement du temps avec sa Grand-Mère, Matsumoto et Eimi.

- Tiens, tu fais quoi samedi ?

- On va au parc, sourit Tooru à sa place. Eimi m'a demandé de lui apprendre à faire du skate-board.

- Tu sais en faire ? s'étonne-t-elle.

Hajime hoche la tête, tout en lui signifiant que ses connaissances en la matière restent limitées.