25. La Résistance

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Garret ne s'attendait pas à ça quand il est entré, bataillant encore avec son vieil ami pour laisser la lycéenne danser dans la salle d'échauffement du studio. Et la surprise lui tombe dessus plus vite que le temps de mettre son masque de bonhommie. Il la regarde faire, se demandant si elle s'échauffe, ou si elle s'exprime, jusqu'à ce que la musique reprenne.

Reiko lance ses mouvements les uns après les autres, et enchaine. C'est comme regarder un oiseau en cage se débattre avec une serrure, tout en maîtrisant l'art de la conversation avec celle-ci. Il a déjà vu des danseuses plus douées. Mais ce n'est pas le talent qui habite une fille qui bouge de cette manière.

Derrière lui, Peter s'est figé aussi. Plus grand, il passe pourtant près de lui pour regarder mieux ce qu'il a sous le nez. Et quand Aki se plaint qu'ils bouchent le passage, trainant derrière lui cette odeur âcre de cigarette, il ne peut s'empêcher de sourire.

- C'est comme ça qu'elle danse ! dit-il en pointant la scène. Vous devriez la laisser faire ça là-haut, dit-il à son maître d'entrainement.

- Elle pourrait faire de la danse, dit-il comme ailleurs. Elle pourrait étudier la danse, plutôt que de travailler ici.

La bonne humeur d'Aki s'évapore.

- Si elle a besoin de travailler, et qu'elle accepte de le faire ici... elle n'aura jamais les moyens de faire des études de danse, même avec une bourse.

La musique s'achève, et elle s'arrête, courbée en deux, essoufflée par l'effort, et la transpiration dégoulinante de son corps bouillant. Et pourtant, soudain, elle se redresse, un sourire franc, une bonne humeur qui refuse de courber le dos face à la fatigue, ou à ses doutes quant à l'avenir. Elle ne sait même pas si elle aura encore la force de faire son service après. La seule chose qui obsède l'esprit de Reiko se résume dans les mouvements qu'elle attache les uns au bout des autres dans l'espace.

Le silence semble peser, jusqu'à ce que la musique qui avait brièvement cessé de l'accompagner la rejoigne, et cette adolescente passe-partout, dont il arrivait de ne pas sentir la présence se met brusquement à briller, irradier de plaisir et d'habitude, virevoltant dans tous les recoins, occupant toute la scène.

Elle finit par s'arrêter, les bras en l'air, la respiration plus que difficile, d'épaisses gouttes de sueur dégoulinant de son visage étiré, ruisselant de son front à son cou, luisant sur sa peau, et frappant ses muscles de courbatures vigoureuses.

Reiko s'efface à nouveau, avant de décider, comme dans un sursaut de rester là, dans la lumière, de se redresser, et de ne pas arracher son sourire de ses lèvres, les sourcils à demi-froncés par la douleur que lui font ressentir ses joues. Elle ne peut se décider d'effacer ce moment. Sa dispute avec Matsumoto ne la travaille pas. Elle la libère, lui permettant de se demander en toute franchise pourquoi elle a pu aller jusqu'à suivre son amie ici, alors qu'elle aurait pu se contenter de faire les trajets pour la voir.

C'est un ensemble de petits riens, qui la maintenaient debout la veille encore. Plus ce soir. Ce soir, elle danse. Comme elle n'a pas pu le faire depuis au moins deux semaines, si ce n'est pas trois. Si on lui donnait une paire de chaussures à talons, là, et qu'on lui demandait de danser, elle le ferait. Parce qu'elle a l'impression de ne pas en avoir eu assez, et que la fatigue qu'elle ressentait il y a encore une seconde s'est définitivement évaporée.

Mais d'un regard, elle remarque que les chaussures sont là, sur le devant de la scène, là où elle les a posées plusieurs minutes plus tôt. Elle s'approche tranquillement de la paire, s'en saisit, et les enfile, attachant la boucle d'un équilibre sans faille, sur un pied perché. Tout aussi paisiblement, Reiko se replace sur le centre de la scène, vérifie que le sol ne glisse pas, et se lance dans cette chorégraphie que les filles répétaient quelques jours encore plus tôt, la moins provoquante du lot, elle ne s'attend pas à être capable de faire plus tout de suite, et ce n'est de toute façon pas ce qu'on lui demande.

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