Chapitre 37 - Maeve

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La petite fille avait cessé de bouger, étendue au sol. Elle n'était pas morte – elle ne le pouvait pas – ni même inconsciente. Elle savourait la fin de sa souffrance, tout en craignant le commencement d'une nouvelle, plus violente encore que la précédente. Pourtant, elle n'avait jamais eu aussi mal, pas même lorsque Luck l'avait brûlée. Non. À ce moment-là, elle avait eu peur, peur de ces flammes destructrices qui s'approchaient bien trop près. Ensuite, elle avait eu mal, bien entendu. Mais pas autant que lorsque les éclairs, éclats tranchants, avait infiltré son être pour la déchirer de l'intérieur. Les débris coupants l'avaient attaqué comme ils avaient attaqué la fille qu'elle avait vu auparavant. Maeve. Elle aussi s'appelait Maeve. Mais ce n'était pas la même chose, elle l'avait senti dès qu'elle l'avait vu.

Cette Maeve-ci était vivante, bien réelle, tangible, visible, audible.

Elle existait aussi, mais ne vivait pas. Elle n'était pas faite de chair et d'os comme l'adolescente, ni d'un mélange de magie et d'humanité comme l'adulte qui accompagnait Maeve ou l'autre fille. Elle n'était que magie. Magie perdue, magie déchue, magie retenue dans les méandres de cet esprit qui n'était plus tout à fait le sien. Il comptait trop se souvenirs.

Il lui était arrivé, à quelques reprises, de s'aventurer dans le labyrinthe de sphères flottantes. Pour une raison qui lui échappait, elle était toujours attirée par les orbes noir d'encre, comme un appel impossible à ignorer. Pourtant, les souvenirs contenus dans ces sphères étaient les pires. Les violets étaient effrayants, bien sûr, et les bleus ne manquaient jamais de la faire pleurer, mais ils étaient moins douloureux que les orbes d'ébènes, recueils de douleur, de sang et de larmes. Elle avait un mal incroyable à aller jusqu'au bout de ces souvenirs, d'autant plus ceux qu'elle n'avait pas réellement vécu. Elle sentait les coups et entendait les cris comme si elle les vivait, mais savait que ce n'était pas le cas. Ce qui rendait l'expérience particulièrement perturbante. Mais moins douloureuse qu'elle l'avait été pour l'autre Maeve, elle s'en rendait compte à présent.

Cette Maeve-ci la dévisageait de ses yeux de glace, comme deux pétales de lilas piégés dans une eau gelée qui s'étendait sur tout son corps. Elle se tenait droite, presque trop, comme si le moindre fléchissement pouvait la faire s'écrouler. Ses épaules, tendues à l'extrême, ne bougeaient pas d'un millimètre alors que ses doigts s'entremêlaient et se tordaient, près de l'implosion.

Elle ne la connaissait pas. La petite Maeve ne connaissait pas cette adolescente renfermée et résignée à endurer la douleur en silence, et cette dernière ne se rappelait pas les yeux lumineux et les sourires béants qu'arborait l'enfant.

La jeune fille se rapprocha de celle qui, selon les dires de Mme Embershadow, avait été elle, et s'agenouilla devant elle.

— Tu vas avoir mal, lui annonça-t-elle d'une voix dénuée de toute empathie – du moins en apparence. Tu vas avoir vraiment très mal. Et pas moi. Tu vas souffrir à ma place. Tu as le droit de refuser. Je comprends.

Je comprends.

Pas de "Je comprendrais", mais un simple "Je comprends", sans la moindre possiilité d'annuler l'évènement. Comme si elle connaissait d'avance sa réponse, que ses paroles étaient un euphémisme. Ce n'était pas "Je comprend" qu'elle signifiaient, mais bien "J'ai compris".

La petite Maeve croisa les bras et fronça les sourcils, frustrée.

— C'est pas vrai. Je veux bien. Je m'en fiche, d'abord. J'ai même pas peur.

— Tu as tort. Seuls les idiots n'ont pas peur. Tu n'es pas une idiote, si ?

— Même pas ! s'écria l'enfant, prête à en découdre pour le prouver

Killer Queens [VERSION FRANÇAISE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant