Chapitre 41 - Maeve

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16 novembre, 9:47 a.m.

Une fois que Helena lui eut bandé le genou et lui eut fait avaler pas moins de quinze élixirs pour assainir ses poumons emplis de fumée et estomper les brûlures qui couraient sur ses mains et ses bras, elle lui permit de s'en aller avec l'ordre de se rendre directement dans sa chambre et de dormir, jugeant les cernes sous ses yeux bien trop profonds pour ne pas être inquiétants.

« Et essaye de ne pas avoir à revenir ! » avait ajouté l'infirmière alors qu'elle partait.

« J'essaierai. » avait-elle promis sans trop y croire.

Apparemment, l'infirmerie allait devenir son lieu de prédilection.

Elle déambulait à présent dans les couloirs, aussi silencieuse que son ombre, passant devant les salles de classes bondées d'élèves, certains alertes, les doigts serrés autour de leur crayon, d'autres paraissant s'ennuyer à en mourir. Elle passa une longue minute à observer un cours de mathématiques qui, comme le prouva sa mine désespérée, ne lui disait rien – et pour cause, elle avait passé les onze dernières années de sa vie cloîtrée chez elle afin de ne pas désobéir aux rudes consignes de son frère. Les larmes lui montèrent aux yeux lorsqu'elle constata l'âge des élèves. Onze ans, peut-être douze. En toute logique, elle aurait dû comprendre l'agencement de nombres et de lignes dessinées sur le tableau blanc, mais le seul détail qu'elle parvint à comprendre fut la date, inscrite dans un coin du tableau.

Un des étudiants leva la main, et l'étrange phrase qu'il fournir parvint à Maeve à travers le battant de la porte : « C'est pi fois rayon au carré ! ». L'adolescente s'éloigna alors, soudain nerveuse à la perspective des cours auxquels elle allait insister. Et si elle ne comprenait rien, et devenait la risée de ses camarades ? Et si, pour qu'elle rattrape son retard, on lui faisait suivre les cours des petites classes ? Passer inaperçu deviendrait impossible. Elle était sans conteste la pire élève de cette école, et ce alors qu'elle n'avait encore jamais rencontré sa classe.

Déstabilisée par la fin de la simplicité de sa vie, qui autrefois se résumait se réveiller, se faire discrète, se cacher, être trouvée, nettoyer le sang puis essayer de s'endormir, elle se laissa couler contre le mur, les genoux ramenés contre sa poitrine et le visage caché par le rideau de cheveux clairs qui tombait devant ses yeux. Une larme tomba sur le bandage qui entourait sa rotule abîmée, puis une autre et encore une autre, qui coulèrent peu à peu au sol, sans qu'un seul sanglot ne brise son douloureux silence.

Alors qu'elle songeait à regagner sa chambre, ne souhaitant pas être vue dans cet état, une sonnerie stridente lui vrilla le crâne, la forçant à se recroqueviller plus encore.

Le son aigu fut bientôt remplacé par le brouhaha omniprésent des élèves qui quittaient leur salle de classe, discutaient, vérifiaient leur emploi du temps et se bousculaient pour ne pas arriver en retard. Maeve, repliée contre le mur immaculé, tentait vainement de disparaître dans la foule d'étudiants, mais elle ne put se relever, constamment repoussée par les adolescents qui ne la voyaient pas. Au bout d'une longue minute au cours de laquelle elle faillit se noyer dans la marée d'élèves, une paire de mains à la poigne solide saisit ses épaules et la releva de force, faisant décoller ses pieds de terre. Elle retint une exclamation de surprise et se débattit mollement, tâchant de décider ce qui était le pire entre subir les coups de pieds et le bruit des élèves et se faire enlever par un inconnu.

— Lâche-moi, murmura-t-elle en essuyant ses larmes pour remettre un peu d'ordre dans ses pensées

— Bloque ton esprit, lui intima ce qui pouvait être son sauveur aussi bien que son bourreau

Maeve, jugeant peu prudent de se faire des ennemis dès son arrivée, s'exécuta à grand-peine. Lorsque Mme Embershadow l'avait emmenée hors du monde mental, elle avait senti la barrière presque intangible qui entourait son esprit, fragile, trop fine pour contenir ses pensées. À l'instant où elle en avait pris conscience, la cloison s'était épaissie, et une fois à l'infirmerie, alors que les flammes avaient laissé place au calme, elle avait lentement érigé une forteresse psychique qui, à son grand désarroi, s'était effondrée à la seconde où elle avait relâché son attention.

Killer Queens [VERSION FRANÇAISE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant