Les larmes des Saphirs

44. Le mot II.

Discuter pendant un cours était difficile, mais discuter pendant le cours de monsieur Gautier était impossible. D'une part parce qu'il nous sollicitait à chaque minute. D'autre part parce que si nous rations une seule information, nous perdions le fil et cela devenait très difficile de comprendre les textes qu'il nous présentait. Mais le visage d'Evan lorsqu'il avait vu la photo du mot que j'avais reçu... je ne pouvais pas laisser ça pour plus tard. Alors dès que monsieur Gautier nous demanda de nous mettre par deux pour faire un exercice, je poussai mon bureau aussi vite que je le pus pour me mettre avec Evan avant qu'une autre nana ne profite de l'occasion pour tenter de lui faire les yeux doux. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'il me rendit mon téléphone portable.

- Evan... qu'est-ce qu'il se passe ? Il y avait quelque dans le mot qui avait provoqué sa pâleur soudaine.

- L'écriture...

- Tu la reconnais ? Sa seule réponse fut un léger hochement de tête. C'est quelqu'un que tu connais qui l'a écrit ?

- Oui. Il inspira profondément. Ma sœur. Je fronçai les sourcils, surprise par sa déclaration. C'est l'écriture de Stella.

- Tu... je n'osais pas lui poser la question qui brûlait mes lèvres.

- Oui, j'en suis sûr. Les petits ronds sur les i, sa façon d'écrire « joyeux anniversaire », le petit smiley. Mais... il me prit le téléphone des mains, afficha la photo et tenta de zoomer dessus. On dirait qu'il y a plusieurs morceaux collés ensemble, mais on ne voit pas bien les séparations. J'aurais besoin de l'original. Il me regarda et je piquai un fard. Quoi ? Tu ne l'as pas ? Je devais lui répondre, mais je n'y arrivais pas. Je hochai la tête. Alors c'est Ryan qui l'a ? À nouveau, je hochai la tête pour lui répondre, ce qui l'inquiéta un peu. Amelia, à qui as-tu donné ce mot ? Je soupirai avant de lui répondre pour de bon.

- À Melanie. Il leva les yeux au ciel en entendant ça. Elle m'a alpaguée juste avant le cours. Je voulais me débarrasser d'elle alors je lui ai donné le papier pour lui montrer qu'on gère son bordel...

- Et lui faire de la peine en passant je suppose ?

- Et bien... je me mis à rougir un peu plus, oui. Mais elle m'a prise par surprise ! Elle voulait que je quitte la ville avec elle et...

- Amelia... il me faut ce papier. Il était très sérieux. Je soupirai et baissai la tête en levant la main bien haut.

- Monsieur Gautier ? J'attendis qu'il vienne jusqu'à nous. Je ne me sens pas très bien. Est-ce que je peux aller aux toilettes ? Étrangement, je commençais à penser le pieu mensonge que je venais de sortir. Le professeur me regarda une petite seconde, un léger voile d'inquiétude sur le visage, puis il me donna son aval d'un signe de tête. Je me levai, et adressai un petit chuchotement à Evan. Si je la retrouve, tu m'en devras une.

J'allais devoir retrouver ma génitrice et lui demander de me rendre ce fichu papier que je lui avais laissé comme une preuve que je n'ai pas besoin d'elle dans ma vie. Ironique non ? Je quittai la salle et me dirigeai directement dans la pièce adjacente où elle m'avait attirée quelques minutes plus tôt. Vide évidemment. Elle n'y était plus. J'avais été un peu bête de croire qu'elle y serait encore.

- M*rde !

Où chercher maintenant ? Sans réfléchir, je sortis du bâtiment par la porte principale. Quelques minutes seulement s'étaient écoulées, peut-être qu'elle était encore sur le parking ? Je me mis à courir à mi-chemin. Je scrutai les environs, à la recherche d'un mouvement ou d'une tête qui dépasse à travers les toits des voitures parquées mais il n'y avait toujours rien. Aucun signe. Je restai là quelques minutes à réfléchir où je pouvais chercher. Je n'en avais aucune idée. Je ne la connaissais pas, je ne savais pas où elle irait après s'être fait rejeter par sa fille. Je ne savais pas ce qu'elle comptait faire avec l'information que je lui avais donnée. Je ne savais rien sur ma propre mère, à tel point que je ne l'avais même pas reconnue lorsqu'elle s'était tenue face à moi ce jour-là, dans la rue, face au Lieu des Saveurs. Mon téléphone se mit alors à vibrer. Je regardai qui m'appelait, c'était Evan.