39. Melanie.

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J'avais l'impression que le sol s'était ouvert sous mes pieds et que j'étais en train de tomber de plus en plus rapidement au fond d'un abysse. Je sentais les regards de cette femme, d'Evan et de Ryan posés sur moi. Ils attendaient tous que je dise quelque chose mais j'en étais incapable. La seule et unique chose qui me venait en tête était un conseil qu'Evan m'avait donné : « quand tu sens que tu te perds, trouve un point d'ancrage. » Les yeux turquoise du jeune homme étaient quelque chose de familier, ils me calmaient. Je m'y plongeai pendant un instant avant de trouver quelque chose à dire.

- Non. Je hochais la tête de gauche à droite sans quitter Evan du regard.

- Amelia... la voix de cette femme n'avait rien de familier à mes oreilles. Elle prononçait mon prénom, mais c'était une étrangère pour moi.

- Non... je ne quittais pas Evan des yeux. Mon ancre. Non, tu n'as pas le droit. Je m'adressais à Melanie mais je regardais encore Evan. Ne prononce pas mon prénom. Je reculai d'un pas et Evan leva la main comme pour me rattraper. Non, je ne peux pas faire ça. Je reculai un peu plus vivement et leur tournai le dos. Pas maintenant.

- Amelia. Ce n'était pas la femme qui m'appelait cette fois. C'était Evan. Il voulait me retenir.

À ce moment-là, je me mis à marcher. Je sentais leurs regards dans mon dos. Je sentais la plaie béante que j'avais mis des années à recoudre s'ouvrir à nouveau : les points avaient lâchés, tous, et d'un coup. Je sentais les larmes me monter aux yeux. Je ne pouvais pas affronter ça, non. C'était impossible. Le retour de ma génitrice ne pouvait pas s'ajouter à la liste des choses que j'avais à gérer. Alors je marchais. La petite phrase d'Evan continuait de résonner dans ma tête. Trouver un point d'ancrage. Quelque chose qui me permette de garder la tête froide, les pieds sur terre. Machinalement, je pris mon pouce entre mes doigts, tâtant l'anneau de mon père. L'anneau qu'elle lui avait donné.

Je ne me retournai pas malgré l'envie de le faire. Je continuai de marcher, laissant mes pieds m'éloigner d'elle au plus vite, comme une urgence. Je tournai au coin d'une rue, puis d'une autre rue et je me cognai contre quelqu'un, une personne légèrement plus petite que moi. Lorsque je relevai les yeux, la première chose que je vis était une chevelure auburn. Puis des yeux foncés remplis d'inquiétude. Mon cœur battait si fort qu'il couvrait le son de sa voix lorsqu'elle s'adressa à moi. Sa main passa devant mes yeux, comme pour me réveiller, mais cela n'eut pas l'effet escompté. Alors elle prit ma main et m'entraîna doucement avec elle. Je me laissai faire.

Elle m'emmena chez elle, à quelques pas du centre-ville. Lorsqu'elle ferma la porte de sa belle maison, elle vit les larmes qui pointaient et cela l'inquiéta encore plus. Elle prit son portable, sembla envoyer un message. Puis, elle me poussa doucement pour me faire monter jusqu'à l'étage, jusqu'à sa chambre aussi grande que la salle de chimie au lycée. Elle avait un dressing aussi grand que ma propre chambre chez les Sawyer dans lequel elle jeta rapidement son sac et sa veste avant de venir me retirer ma veste. Toujours aussi doucement, elle me poussa pour que je m'asseye sur son lit et elle me prit dans ses bras. Les larmes pointaient mais ne coulaient pas. Elle m'avait déjà vu dans cet état, elle savait qu'il fallait attendre, qu'une fois l'onde de choc passée, je serais capable d'aligner deux mots et de lui expliquer la raison de mon état.

Elle dut attendre longtemps. Mais elle le fit avec patience et douceur. Les personnes qui la connaissaient ne voyaient que le côté exubérant et un peu fou, mais je la connaissais mieux que ça, je connaissais son vrai visage. Elle était aussi capable de retenue, de compréhension et d'une gentillesse à toute épreuve. En attendant, elle m'enveloppa dans une couverture, et me caressa les cheveux. Et après un long moment, elle comprit que je m'étais calmée sans que je ne dise quoi que ce soit.

Les larmes des SaphirsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant