Chapitre 13

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Anatole était parti depuis longtemps et François, déjà, prenait lentement le chemin de la folie.

Inutile de préciser que la voie du sommeil lui avait été rendue largement inaccessible ces dernières heures. Chaque fois que ses paupières devenaient lourdes, le poids de son angoisse les surpassait. Son corps était projeté à la surface du lit comme si un ange gardien tentait de le réanimer à coup de défibrillateur. Mais pourtant, il lui était impossible de raisonner son organisme en expliquant qu'il n'était pas sur le point d'en mourir.

Ce n'était pas sa faute, il avait peur.

Il était même terrifié.

Et pour la première fois, son instinct lui présentait un présage qu'il ne savait ignorer.

Le jeune homme se redressa sur son futon et posa deux pieds au sol, des chevilles tremblantes et des genoux bloqués qui le porteraient peut-être là où il a besoin d'aller, avec un peu de chance.

En portant ses mains confuses à son torse, il constata que sa chemise de lin avait été trempée d'une tourmente insoupçonnée.

Un éclat de glace accroché au dos de la porte lui renvoyait le reflet misérable d'un pauvre type en proie à la névrose.
Il donnait des envies de lui arracher les cheveux pour obtenir ne serait-ce que le clignement d'un œil.

"Ça y est, pensa-t-il, moi qui pensais ne pouvoir être davantage perdu, j'avais tord."

Le plancher de sa chambre commençait à onduler comme les vagues du grand lac les jours où l'orage éclate en dehors de la montagne. L'entrée de la pièce paraissait s'éloigner si loin de lui, et il avait tellement peur qu'elle finisse par se prendre pour un mirage, qu'il se rua sur la poignée dans l'urgence.

Il dévala les escaliers qui menaient au séjour avec des jambes lourdes et douloureuses. Il eut l'impression subite de descendre la pente dangereuse d'un mont escarpé, ne sachant pas où trouver un appui suffisamment solide pour retenir ses faiblesses de provoquer la chute.

L'étage du bas était plongé dans l'obscurité. La collection de bâtons de Nana avait des airs de forêt morte dont les formes des branches projetaient des ombres de longues griffes sur les murs de chaux.

Il avait passé la plus grande partie de sa vie dans cette maison, et pourtant, il n'en reconnaissait plus les contours.

Dès qu'il eut franchi le seuil de la porte et que ses orteils frôlèrent le sol poussiéreux, il se laissa porter par le besoin d'avoir des réponses.

Les plantes avaient tamisé leurs teintes depuis déjà longtemps. Des lueurs indigo tapissaient les recoins moussues des parois rocheuses, couvrant le plafond de son propre ciel étoilé.

Les anciens avaient pris l'habitude il y a de cela très longtemps, de se retrouver sous les feuilles d'un immense saule dont les mouvements respiraient le calme et la sagesse. Tel un temple, aérien et soyeux, la salle du Conseil prenait place entre des tissus drapés et des tissages colorés. Des mobiles de coquillages dansaient une valse au-dessus des mosaïques de galets.

Du haut de la colline où il vivait, François pouvait dès lors y entrevoir les bouquets de luz-erne fraîchement cueillies pour l'occasion, illuminant les silhouettes des Anciens attablés, alors qu'il était pourtant loin d'être l'heure du repas.

Il eut l'impression de mettre un temps anormalement long à venir à bout de la descente qui reliait sa maison aux premiers îlots. Le trajet n'était pourtant pas différent de d'habitude, peut-être, était-ce lui qui l'était?

"En-tout-cas, si ça vient bien de moi, ça ne me dit rien qui vaille." songea le garçon qui avait dû apprendre à ne pas se faire confiance pour éviter les ennuis.

Ses pieds nus frôlèrent le bois humide des passerelles, avant de venir s'écraser dans la mousse tendre du bosquet, laissant des perles de rosée à la surface de sa peau comme le baiser mouillé d'un parent sur le front d'un enfant blessé.

Mais François avait l'impression de progresser sur du verre pilé.

Pas un signe de vie, autour de lui tout lui semblait mort, il n'avait jamais ressenti une chose semblable auparavant.

Toutes les cabanes étaient plongées dans le noir, pas une odeur de charbon ou de soupe ne s'échappait des fenêtres, le garçon se surprit même à avoir froid pour la première fois de son existence, lui qui n'avait jamais quitté Contre-Jour où la température ne varie que de quelques degrés par cycles.

Tout à coup, des pas discrets se firent entendre non loin de là.

Le rouquin se retourna d'un geste brusque, mais il ne vît qu'une poignée d'arbustes assoupis dans un pré.

"Il y'a quelqu'un?..." demanda t-il à voix haute, curieux de ce visiteur nocturne supposé dormir depuis des lustres.

Mais personne ne se montra.

Pourtant, le bruit d'une démarche animale continuait de résonner à ses oreilles.

Il avait sûrement à faire à une âme discrète.

François poursuivit sa marche pressée quoique coûteuse jusqu'au Conseil des Anciens.

Il avait pertinemment conscience qu'il n'était pas autorisé à perturber le bon déroulement de ses réunions de crise, et que puisque le Conseil ne se réunissait jamais excepté dans de rares occasions, quelque chose d'important avait dû avoir lieu pendant qu'il était dans les vapes.

Mais son instinct lui hurlait de s'en ficher, et ce n'était pas une bonne nouvelle.

Son cœur battait à toute allure. Et s'il était enfin sur le point où quelque chose allait lui arriver ?

Encore couvert de sueurs froides et les tripes tordues de douleur, il leva ses yeux verts sur le saule qui trônait au bout de l'étendue de sable rocailleuse. Des nuages d'ocre s'attaquaient à sa gorge pour l'empêcher de respirer.

Mais son besoin vital de découvrir ce qui avait bien put le mettre dans un tel état surpassa son envie de s'écrouler contre une dune.

Alors, il fit irruption dans la pièce éclairée sans plus attendre, laissant ses rotules s'écraser sur le tapis.

Toutes les voix se turent en un fragment de seconde.

Nana s'était levée de sa chaise précipitamment, comme prise sur le fait en pleine bêtise.

Les regards des aïeux se voulaient rassurants malgré le choc de l'interruption surprenante, et François y lut une expression à son égard qu'il aurait préféré ne jamais lire sur le visage des membres du Conseil : de la pitié.

L'éveil des IlluminésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant