Chapitre 15

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Derrière la maison de Nana, il y avait un petit sentier quasiment inaccessible qui s'enfonçait dans la roche. Peu de gens connaissait l'existence de cette trace sinueuse qu'on ne pourrait désigner comme étant un chemin. Parsemée de gros rochers coupants qu'il fallait patiemment contourner ou escalader, suivi d'une corniche fine à franchir sur deux douzaines de mètres, il n'y avait aucun doute sur le niveau de difficulté du trajet. Pour avoir l'idée de traverser sans même savoir si la route avait une destination, il fallait être inconscient.

Ou bien simplement avoir un bon instinct.

C'est en perdant de vue l'une de ses bêtes que François était tombé nez à nez avec cette faille dans la paroi, et malgré la dangerosité du voyage, il avait la sensation que c'était l'endroit où il fallait être, maintenant à ce moment précis.

Au bout de la voie, une lumière bleutée projetait des vagues iridescentes sur la pierre, dessinant les contours d'un lama en train de brouter.

Lorsque le jeune homme, encore garçon à l'époque, avait découvert ce renfoncement aussi grand qu'une petite clairière, couvert d'herbe grasse et de fleurs parfumées, il avait décidé spontanément de garder son nouveau secret pour lui.

Puisqu'il ne parvenait pas à trouver sa place, il avait au moins besoin d'un endroit où se mettre.

C'est donc tout naturellement qu'il se trouvait là, des années plus tard, allongé contre le tronc d'un fruitier qui avait bien grandi.

Son regard se perdait dans les couleurs des arbres qu'il voyait dans la forêt en contrebas. Des teintes évolutives, passant du violet, au mauve, au pourpre et à l'azur. C'était captivant de les voir se métamorphoser au toucher d'un oiseau, d'un insecte, de la main d'un ami.

Mais au fond de lui, François ne pouvait s'empêcher d'imaginer qu'eux aussi, il les avait inventé.

La nuit dernière avait été rude.

Il se remémorait, tourmenté, la sensation affreuse qu'il avait ressentie.

Il était sorti en trombe de la tente, courant aveuglément sur les passerelles qu'il avait parcouru toute sa vie. En arrivant sur les lieux, il s'était effondré dans la prairie vallonnée. Ses dunes avaient disparu. Le sable ne coulait plus entre ses doigts.

Il soupira.

Le pire, c'est que maintenant, il se sentait incapable de discerner le vérité du mensonge.

C'est en redescendant dans la vallée qu'il rencontra Anatole à la sortie du sentier.

Le brun remonta ses lunettes sur son nez, le regard sérieux comme toujours.

" Anatole ? Bonjour. Je ne savais pas que tu connaissais cet endroit. Que fais-tu ici ? marmonna François, embêté d'avoir été pris sur le fait

- Je suis venu à ta rencontre. Il faut que je te parle.

- Comment savais-tu que j'étais ici ?.. "

Il ne termina pas sa phrase, car il vit à l'expression de son ami qu'il avait compris depuis longtemps où était sa cachette, et qu'il avait simplement toujours respecté sa solitude.

- Stéphane m'a parlé de ton irruption dans la tente du Conseil hier soir.

- Oh, je vois, répondit François à mi-voix."

Une fois accoudé contre le buffet de la cuisine, une infusion fumante entre les mains, Anatole hochait continuellement la tête, signe qu'il procédait à l'assimilation des nouvelles informations en sa possession.

" Tu veux dire que c'est déjà arrivé auparavant ?

- C'est ce que j'ai compris. Et pas qu'une fois. Ils ont dit que la première génération après Kimchi, la seconde, et la troisième avaient vécu la même chose. C'est d'ailleurs de là que vient le Festival des Capacités, expliqua François.

- Qu'est-ce que tu veux dire par là ? Que c'était à l'origine... un genre de sélection ? s'interrogea le plus âgé, choqué."

François acquiesça, avant de reprendre en ayant encore lui-même du mal a digérer la situation :

" Une fois les images claires, et l'œuf né malencontreusement dehors localisé, le Festival permet de déterminer les cinq aventuriers qui partiront à sa recherche.

- C'est incroyable qu'on ait oublié d'où vienne cette célébration. Et pourtant, je croyais avoir passé en revue l'histoire de nos traditions, se lamentai Anatole, frustré.

- Ce n'est pas si simple. Les Anciens ont fait en sorte que ce souvenir soit oublié par notre peuple. C'est à cause du troisième groupe. Ils ne sont... jamais revenus.

- Jamais ? Que s'est-il passé ?

- Je ne sais pas. Personne ne le sait. Mais les Parts de Kimchi auxquelles ils étaient reliés sont descendues parmi les autres, las et immobiles pendant tout un cycle. Une empathique à l'époque, avait compris que les pauvres créatures étaient endeuillées. C'est à ce moment que tout le monde avait déduit que le groupe ne rentrerait pas, raconta François, le regard dans le vide.

- Peut-être qu'ils ont simplement eu un accident, je trouve cela radicale de la part du Conseil d'avoir fermé pour toujours l'accès à l'extérieur. J'ai pensé comme tout le monde ici, que les grottes étaient bloquées .

- Elles ne le sont pas. On nous a juste appris à ne jamais franchir cette limite."

Anatole posa sa tasse en argile sur le rebord de la table et se mit à faire les cent pas dans la pièce encombrée de bouquets aromatiques et de grosses casseroles.

" Et l'œuf ? Le troisième œuf ? demanda-t-il en levant les yeux vers François.

- Il a probablement dû éclore et grandir dehors. Puis mourir à son tour. "

Le brun s'en rongeait les ongles de curiosité.

" Donc à présent, localiser ce nouvel œuf, c'est ta responsabilité ? C'est ça ?

- A ce qu'il parait.

- Et tu vois quoi pour l'instant ?

- Du sable.

- Je vois, très bien. Quoi d'autres ?

- Hmm... j'entends des gens qui crient des fois.

- Hum, je vois, quoi d'autres ? répondit Anatole peu convaincu de la précision de l'information.

-Et bien... j'ai eu une douleur anormale aux jambes hier."

Anatole avait cessé de bouger, et il le regardait la bouche entrouverte, dubitatif.

François cligna quelques fois les yeux, et lui adressa un très léger sourire se voulant apaisant, mais traduisant en réalité une avalanche de panique intérieure. Il ne respirait même plus, sa nuque était mouillée de sueur. Il échappa un rire, et reprit son sérieux en s'asseyant sur une chaise, le regard réaliste de son ami resté silencieux pesant sur lui. Habitué à son incapacité, le rouquin finit donc par admettre.

" Bon, on va jamais retrouver cet œuf. "

L'éveil des IlluminésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant