Chapitre 31

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Alice, sous le choc, laissa échapper un cri d'horreur qui fut immédiatement étouffé par la gigantesque main de Ricardo.


Lui, qui n'avait peur de rien, avait les yeux exorbités de traumatisme, et sa lèvre inférieure charnue s'était écrasée sur le bas de son visage carré tant sa bouche s'ouvrait d'épouvante.

François était comme paralysé, il ne pouvait détourner le regard d'une telle atrocité. L'odeur qui se dégageait de la scène était abominable, et tout simplement indescriptible. Elle allait sûrement marquer le jeune homme pour toujours.

Oui, il avait l'impression que tout ce qu'il avait vécu et appris jusqu'ici n'allait jamais être assez pour faire face à une telle chose. Son monde s'écroulait. La montagne de Contre-Jour, le sacrifice de Kimchi qui l'avait protégé tout ce temps, le réconfort maternel de Nana, chaque pierre de l'édifice s'effondrait sur lui. Il se sentait étouffer, à l'étroit dans ce corps coincé contre le sol, enfermé dans cet esprit qui n'était pas prêt à quitter l'utopie de sa maison.

 
Il aurait voulu s'enfuir, partir en courant aussi vite qu'il le pouvait, mais quelque chose lui disait que  peu importe où il se trouvait tant qu'il était à la surface, il n'était en sécurité nulle part.

Les flammes s'élevaient dans l'air, projetant autour les fumées des corps en décomposition dont s'émanaient des senteurs de pourriture.

À plusieurs reprises, ils apercevaient des individus masqués vêtus d'étranges combinaisons s'approcher avec des brancards, des chariots, parfois même des brouettes pour alimenter encore le feu en pauvres malheureux ayant perdus la vie.

Tétanisés, ils s'enfouissaient sous la machine, tandis qu'on vidait la cabine au-dessus d'eux.


Tout à coup, une volée de pieds foula le sol désertique juste devant eux.


" Avance ! " ordonna un grognement strict.


Ils étaient si près d'eux. Par réflexe protecteur, Salomé fit reculer son groupe terrorisé , espérant qu'ils se fassent plus discrets.


" Avance j'te dis ! " répéta la voix en assignant un coup à l'autre qui s'écrasa à terre, face dans le sable.


Le sang de François ne fit qu'un tour : il savait déjà que c'était inévitable.

La jeune femme qui venait de s'effondrer avec le visage excessivement amaigri, tous ses membres tremblaient d'affaiblissement et elle crachait un liquide rouge qui en disait long sur son état. Elle cilla quelques fois, et croisa soudainement le regard apeuré du roux, recroquevillé sous l'avant-dernier wagon du train. La suppliant silencieusement de ne rien dire, il plaça son index devant sa bouche.

Pourtant, alors qu'il n'avait jamais eu aussi peur, il remarqua dans ses yeux qu'elle criait à l'aide en silence, encore plus fort que lui.


Contre son dos, il sentait l'adolescente trembler comme une feuille malgré les bras rassurants du blond qui la retenait de fuir.

Voilà, quelqu'un savait qu'ils étaient ici. Mais cependant, il crut lire dans l'expression de la misérable qu'elle ne trahirait pas sa confiance. D'ailleurs, il s'avéra rapidement qu'il avait raison, puisqu'elle fut redressée de force par une main gantée, et que malgré l'opportunité qu'elle venait d'obtenir de divertir son agresseur, il n'entendit aucun mot concernant les clandestins cachés sur les rails.

Le petit groupe visiblement maltraité quitta le paysage aride pour disparaître derrière des montagnes de caisses en bois, à peine déchargées du voyage.

L'éveil des IlluminésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant