« Elle faisait de son cœur une chambre d'enfant, d'un désordre incroyable ».
Christian BobinJe veux avant tout vous parler de ma relation avec Evalina.
Un après-midi, je marchais sur le campus de la faculté de Lettres avec une fille qui était en cours avec moi. Cette fille n'a aucune importance. Elle ne faisait que faire partie d'un tout ambiant à la fac, qui créait mon environnement immédiat. Je me souviens qu'il faisait beau pour un mois de septembre. Je m'en rappelle car lorsqu'il fait beau, les yeux d'Evalina deviennent encore plus clairs. Elle marchait avec deux filles et elles arrivaient toutes les trois, droit dans notre direction. Evalina et moi on s'est croisés, on s'est regardés longtemps. Même après s'être dépassés. Ce n'était pas son physique ou de l'attirance qui avait capté mon attention, bien qu'elle soit vraiment jolie, mais ce qu'elle dégageait. Comme si elle m'avait percé. Quelques jours passèrent, quand à la sortie d'un de mes cours, elle était là. Elle me regardait en souriant, de son sourire bien à elle. Et là, vaillante comme un petit soldat, elle s'était plantée devant moi en me tendant un bout de papier.
Elle ne dit que quelques mots : « Tiens c'est mon numéro. Appelle-moi, je veux te connaître. »
Le soir même je l'appelais. Le lendemain je la voyais.
Au téléphone elle m'a confié : « Je serais devant le café avec une grande pancarte : Vous êtes ici ». Je suis juste venu. Qu'aurais-je pu faire d'autre ? J'avais besoin de la connaître.Le café était pourri. Nous nous sommes assis et nous avons parlé de tout. Quand je dis tout, c'est tout. Elle m'a demandé tous ces détails insignifiants qui font que je suis moi. Ces choses que personne n'aborde la première fois qu'on rencontre quelqu'un. Elle n'a pas voulu savoir l'évident, le consensuel. Elle voulait me connaître moi. Vraiment moi. Si je suis proche de mes parents, quel est mon aliment préféré, ma plus grande peur, ma plus grande honte, ce que je fais en premier le matin, la phrase qui m'énerve le plus d'entendre chez les gens, ce que je fais pour m'endormir quand je n'ai pas sommeil, si je zappe plus de un repas par jour, quel dentifrice j'utilise, si je suis allergique à certaines choses. Elle a également répondu à toutes mes questions, me donnant des détails dérisoirement intéressants. Et puis nous sommes partis. Sur le chemin du retour elle m'annonça : « Ferme les yeux je te guide. Tu dois me faire confiance. Si tu marches trop près des voitures je te le dirais. » Alors j'ai fermé les yeux.
Qu'aurais-je pu faire d'autre ?Personne ne nous a présentés, on s'est trouvés, on s'est choisis. On a pénétré dans la vie de l'autre et on n'en est jamais ressorti. Plus nous passions de temps ensemble et plus ça devenait évident que nous étions faits pour être liés. Nous avons tout de suite compris que l'enjeu était autre qu'une relation amoureuse banale.
Nous avons énormément de choses en commun. Nous sommes bien plus salé que sucré, plus chiffre impair que chiffre pair, plus calme que bruit, plus thé que café, plus hiver que été, plus gel douche que savon, plus littéraire que scientifique, plus viande que poisson, plus Signal que Colgate, plus photographie que peinture, plus théâtre que opéra, plus crayon de papier que critérium, plus four que micro-ondes, plus lumière d'appoint que lustre, plus céréales que tartine, plus Nutella que confiture, plus ville que campagne, plus bonnet que chapeau. Une différence fondamentale nous distingue pourtant : elle est Samsung, je suis iPhone.Evalina est une déviante, c'est ce qui m'a tout de suite plu chez elle. Elle raffole trouver et/ou voler des petits trucs qui ne servent à rien, et des trucs plus gros qui auraient servi s'ils n'étaient pas tombés entre ses mains. Sa chambre en est remplie mais la disposition n'en est que plus harmonieuse.
Quand on entre dans sa chambre on se croirait plongé dans les années 1950 et dans un passé innumérable. Un lit quasi au niveau du sol, un tapis vache, un vieux fauteuil vert avec les pieds inclinés. Des cadres anciens partout, parfois laissés en état, parfois repeints en dorés. Ils sont tous accrochés les uns à côté des autres, les petits, les moyens, les carrés, les ovales, les rectangulaires, les dorés, les cadres noirs. Elle a également mis des clous à un mur pour y accrocher ses bijoux, elle a installé à côté de son dressing deux vieilles valises ouvertes ou elle range tous ses foulards et écharpes. Je n'aurais jamais pensé que ces objets puissent si bien se marier.
Sa chambre lui ressemble.
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(sans)timent
AléatoireAvez-vous déjà imaginé ne ressentir aucune émotion ? C'est ce que vit Nathanaël Detrait, un jeune homme de 27 ans, atteint d'ataraxie depuis sa plus tendre enfance. Face à n'importe quelle situation il ne ressent rien. Absolument rien. Alors, tel u...