Chaoitre XXIV

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« Je suis l'absence totale de surprise de Jack. »
Fight Club

18h29. Je rentre à l'appart après ma journée de travail, Evalina, Sarah et Victor sont là. A mon arrivée, subitement, plus un bruit. Il se trame quelque chose. Dans l'air flotte comme un soupçon de conspiration.
Alors je pose la question de savoir ce qu'il se passe. Sarah laisse échapper un « Rien ». Hormis ce « rien » Sarah n'émet pas un son. Une constipation verbale passagère ? Etrange mais soit. Quant à Victor, deux grossières erreurs le trahissent. La première, il a un livre entre les mains. La seconde, le livre est à l'envers. Je doute que ce soit pour un exercice de gymnastique oculaire.
J'ai promis à Margot que je venais ce week-end, je n'ai pas le temps pour leur petit jeu. Je les laisse à leur cénacle et prends la direction de ma chambre afin d'y rassembler mes affaires pour aller passer ce qui me reste de week-end chez ma mère. Avec Margot on ne se voit qu'à Noël et deux ou trois autres week-ends par an. Ça tombe là.
Sac sur le dos, j'ouvre la porte de ma chambre et tombe nez à nez avec les trois mousquetaires. C'est un peu tôt pour la chorale de Noël. Le sourire aux lèvres, ils me crient en cœur : « Surprise ».
En fait, Evalina m'explique qu'ils m'accompagnent, que Margot est dans le coup et qu'elle est toute disposée à nous accueillir. Je comprends mieux la présence de Sarah hier soir. Elles ont programmé ce petit weekend toutes les deux, Victor n'a eu qu'à suivre le mouvement. Pour montrer son utilité dans cette planification élaborée, il insiste pour conduire. Défoncé, je sais qu'il l'est mais je lui ferais bien un test d'alcoolémie quand même.
Pour tout avouer, je n'ai vraiment pas envie de conduire, cela tombe bien qu'il se soit proposé. Un bon point pour lui. A la réflexion, Victor est souvent motivé à conduire, peu importe ce qu'il a dans le sang.
Je suis donc installé siège passager et les deux filles banquette arrière.
- Ça te parle les distances de sécurité !? Demande Evalina qui flippe en voiture. A plus forte raison lorsque c'est Victor le chauffeur.
- Bah qu'est-ce qu'y a ?
- On voit vachement bien la plaque d'immatriculation de la voiture de devant, laissé-je échapper.
- A l'aise, j'maitrise.
Sarah parle et parle mais au vu de la conversation, il n'y a aucun profit pour moi à écouter ce qui se raconte. Je ne sais pas comment Evalina fait pour supporter tout ça. Elle doit vraiment l'aimer.
Sarah finit son monologue par : « Un truc de psychopathe ! » Evalina rebondit immédiatement sur le fait qu'elle a recroisé la veille, le type étrange des urgences. Assis sur un banc, il reluquait de la collégienne, l'œil concupiscent et la bave aux lèvres. « Un vrai vicelard. » termine-t-elle.
C'est drôle comment le suffixe « ard » dans sa forme adjectival, sert souvent à connoter péjorativement une personne...
- A propos de vicelard on m'a raconté une histoire de fou ! Renchaine Sarah. La fille sort de boîte vers trois heures du matin, elle monte dans sa voiture, met la musique assez forte et commence à rouler pour rentrer chez elle.
Vantard, pillard, tocard, queutard,...
Après quelques kilomètres, elle entend un petit bruit mais n'y prête pas plus attention que ça.
Poissard, binoclard, crevard, soiffard,...
Elle continue de rouler et au bout d'un moment, elle s'aperçoit qu'une voiture la suit, elle accélère et la voiture derrière fait pareil, du coup elle commence à flipper et appelle son père : « Ouais allô Papa, désolée de te réveiller, il fallait vraiment que je t'appelle... »
- Non mais viens-en au fait, prononcé-je, tu ne vas pas nous faire le faux dialogue que tu viens d'inventer, « Alors papa, le jardinier est venu biner les fleurs aujourd'hui ?... Quoi ? Maman a encore fait une tarte aux poireaux en entrée... »
- Ça va, j'ai compris Nath ! Bon je continue. Elle lui explique qu'elle est suivie par une voiture et qu'elle arrive dans vingt minutes chez lui, parce qu'elle panique à fond.
Rondouillard, scribouillard, flemmard, snobinard...
Donc vingt minutes plus tard elle arrive, la voiture la suivait toujours, son père attendait dans l'allée avec une barre de fer pour tabasser le gars.
Ringard, fouinard, froussard, pétochard,...
La fille sort en courant se cacher derrière son père et là le type sort de la voiture en disant : « Non je ne vous veux pas de mal, c'était juste pour vous dire que j'ai vu un homme monter dans votre coffre ! » Là-dessus le père décide de ne pas ouvrir le coffre, il prévient la police en expliquant l'histoire, et là ils lui disent de venir au commissariat.
Débrouillard, ah tiens débrouillard est peut-être l'exception qui confirme la règle.
Le père amène la voiture là-bas et ce sont les policiers qui ouvrent le coffre. Et ben il y avait vraiment un gars dedans et il s'avère que c'était un violeur multi récidiviste recherché par la police. C'est ouf ! Vous imaginez s'il n'y avait pas eu le monsieur pour la suivre en voiture et la prévenir !?
- C'est une histoire de dingue, ajoute Evalina qui a l'air sincèrement touchée par l'anecdote de Sarah.
- Non mais y'a de quoi flipper ! C'est devenu craignos dehors. Avec tout ce qu'on entend. Faut plus laisser les enfants sortir !
Je me retourne pour m'adresser à la blondasse :
- Oui faut les garder bien au chaud à l'intérieur, c'est beaucoup plus sécuritaire devant les écrans, exposés aux prédateurs sexuels et radicalistes du net.
- Au jour d'aujourd'hui... entame Sarah.
Je me mets à soupirer plus que bruyamment en me retournant face à la route. Elle s'arrête net.
- Quoi !?
- ...Faudrait arrêter avec les redondances étymologiques.
- Hein ?
- Dans aujourd'hui, « hui » signifie déjà « le jour présent » donc littéralement « aujourd'hui » signifie « au jour de ce jour présent ». Alors au jour d'aujourd'hui... Ce n'est ni plus ni moins qu'un lourd pléonasme. C'est comme si tu disais : un minuscule petit nain. Tu penses placer une belle tournure de phrase mais en réalité tu ne fais que mettre en exergue ton incompétence langagière.
- Tu me gaves Nath ! Lâche Sarah qui finit par se taire, vexée.
- Mingus, rassure-moi, c'est normal qu'il pleuve à fond et que tu ne mettes que l'essuie-glace qui balaye toutes les cinq secondes ?
- Ah ouais j'me disais aussi j'voyais rien, affirme-t-il en changeant le bidule au volant.
- Tu sais te montrer rassurant, le taquiné-je. Tu n'aurais pas fait partie de la délégation à la sécurité routière, par hasard ?
- Merde mec, j'sais rouler une caisse. Et pis si c'est c'que tu sous-entends, j'ai fumé y'a au moins trois heures, c'est bon là j'suis plus du tout éclaté. J'dirais même que j'suis plus attentif, tu vois ?
- Oui on a vu, répond Evalina sur un petit ton caustique.
- Attends t'as un truc à me reprocher sur ma conduite !? Parce que j'vais te dire...
Victor ne regarde plus la route pendant qu'il débat dans le rétroviseur central avec Evalina. Quand tout à coup :
- Freine putain ! S'écrie Evalina.
Victor s'exécute et s'arrête juste à temps avant d'emboutir la voiture de devant.
Nath reprend le volant s'il te plaît ! A croire qu'il le fait exprès. Comme ces gens qui lavent mal la vaisselle, pour entendre les mots : « Laisse, je vais le faire. »
- C'est bon j'vous dis ! S'énerve Victor. On a tapé le Laguna !? Non, alors calmos.
- Je n'aime pas la façon dont tu conduis, j'ai le droit de le souligner, lâche Evalina.
- Quoi encore !?
- Que tu doubles par la droite, sur la voie rapide passe encore, mais sur la bande d'arrêt d'urgence, c'est un peu limite. Tu t'arrêtes souvent à deux centimètres de la voiture de devant, comme là, les clignotants c'est optionnel et surtout, tu ne fais que d'insulter les autres conducteurs alors que le seul danger sur cette route c'est toi Mingus. Elle n'a pas tout à fait tort.
Contrarié, Victor met de la musique et plus personne ne prononce un mot.
Le morceau me convenant que très moyennement, je passe les stations de radios une à une à la recherche d'un plus acceptable. Quand « Billie Jean » de Michael Jackson se fait entendre sur les ondes. J'appuie à nouveau sur le bouton folder.
- Pourquoi t'as passé !? J'adore cette chanson ! M'informe Sarah sur le ton du reproche, toujours vexée.
Attention : certains propos peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes ainsi que des personnes non averties.
- J'entends déjà assez de pédophiles chanter pendant les heures de boulot, je ne vais pas en plus me l'infliger pendant mes temps libres.
Elle retourne à sa bouderie et l'absence de dialogue règne à nouveau.
On approche de chez Margot, faudrait peut-être détendre tout ce petit monde avant d'arriver. Commençons par Victor. Je sais qu'il fréquente une femme de quarante ans, depuis à peine deux semaines. Il l'a rencontrée dans un concert « keupon » au Warm'up. C'est un bar proche de chez nous qui organise des événements les vendredis soirs.
- Alors comment ça se passe avec Marlène ?
- J'crois qu'elle a plus envie de m'voir.
- Ah...qu'est-ce qu'elle t'a dit ?
- Qu'elle avait plus envie de m'voir.
- ...Effectivement, c'est peut-être une piste. Bon tant pis pour la bonne humeur, j'aurais essayé.
Tout s'explique. C'est pour cela qu'il a accepté de venir l'animal, il s'est fait dispensé de Marlène. Sinon il est plus qu'évident qu'il aurait sauté sur l'occasion de ramener sa cougar à l'appartement, pendant notre absence.

(sans)timentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant